Qui est Esther Duflo, première femme française à obtenir le prix Nobel d’économie?

À 46 ans, elle partage le prestigieux prix avec son conjoint, Abhijit Banerjee et avec un professeur à Harvard, Michael Kremer pour leurs travaux sur la lutte contre la pauvreté.

 

Pour la première fois dans l’histoire du prix Nobel d’économie, son lauréat est plus jeune que la prestigieuse récompense. Son lauréat ou plutôt…sa lauréate. Dans l’année de ses 47 ans, la franco-américaine Esther Duflo se partage depuis ce lundi la plus haute distinction de sa matière, juste un demi-siècle après la première attribution du prix. À ses côtés, son mari, l’indien Abhijit Banerjee et l’américain, professeur à Harvard, Michael Kremer.

Considérée comme l’une des économistes les plus brillantes de ces dernières années, Esther Duflo est la deuxième femme à recevoir (ou se partager) ce prix. Au-delà de ça, elle est la première femme française à l’obtenir. «Un prix qui récompense un parcours exceptionnel», vante le ministre de l’Économie Bruno Le Maire ce lundi. Des mots qui sonnent juste, tant ce prix semble être le nouvel épisode d’une suite logique.

Parfois pressentie pour le recevoir ces dernières années (en 2015 et en 2018 surtout), Esther Duflo, amatrice d’escalade, avait remporté il y a neuf ans la médaille John Bates Clark, qui récompense les économistes de moins de 40 ans. De grands noms de l’économie tels que Paul Krugman, Paul Samuelson, Joseph Stiglitz ou Milton Friedman notamment avaient reçu cette médaille, deuxième récompense la plus prestigieuse en la matière, avant de se voir attribuer, plus tard, la première: le prix Nobel.

À cette liste il convient désormais d’ajouter le nom d’Esther Duflo. Une montagne qu’elle aura grimpée en une vingtaine d’années, visiblement à sa plus grande surprise. «Je suis très honorée. Pour être honnête, je ne pensais pas qu’il était possible de gagner le Nobel aussi jeune», a-t-elle lancé peu après l’annonce. En moyenne, cet honneur est fait aux économistes qui ont déjà célébré leur 60ème printemps. En 2007, le lauréat Leonid Hurwicz avait lui 90 ans. Selon l’Académie royale des sciences qui décerne le Nobel, les travaux des lauréats «ont introduit une nouvelle approche pour obtenir des réponses fiables sur la meilleure façon de réduire la pauvreté dans le monde».

Ce «parcours exceptionnel» débute bien avant les distinctions attribuées à l’économiste française. Quatrième au concours d’entrée de l’École normale supérieure, Esther Duflo y obtiendra une maîtrise d’histoire et d’économie, à 22 ans. De cette dernière matière elle sera agrégée deux ans plus tard, après avoir été parfois aiguillée par Thomas Piketty, de quelques mois son aîné, autre grand nom de la recherche économique française.

Cheveux bruns rabotés au carré, la jeune femme se spécialise ainsi sur les sujets qui la feront rentrer dans tous les manuels d’économie: pauvreté, développement humain, santé et éducation. Devenue thésarde en 1999 sous la direction de l’économiste indien Abhijit Banerjee, qui deviendra plus tard son mari et co-lauréat à ses côtés du prix Nobel, «la meilleure jeune économiste de France», selon le titre qu’on lui attribue en 2005, ira justement réaliser une grande partie de ses recherches en Inde.

Quelques années plus tard, en 2013, elle sera choisie par le président américain Barack Obama pour l’épauler à la Maison-Blanche sur les questions de développement mondial. Elle est en parallèle titulaire d’une chaire au département d’économie du prestigieux Massachussets Institute of Technology (MIT).

Les travaux de «cette intellectuelle française de centre-gauche», comme l’écrivait le New Yorker en 2010, n’ont rien d’anodin. Sa mère, pédiatre et fortement investie dans le bénévolat, y porte une certaine influence. Esther Duflo elle-même, baigne dans le bénévolat dans plusieurs ONG durant ses études. Action qu’elle a poursuivie, après avoir co-fondé en 2003 le laboratoire de recherche Abdul Latif Jameel sur la lutte contre la pauvreté. Un institut exclusivement basé sur les recherches de terrain, en partenariat avec d’autres ONG. Une manière de fonctionner qu’il lui vaudra le surnom, toujours selon le portrait du New Yorker, de «randomista» ou «théoricienne du hasard». En d’autres termes, selon elle, dans un entretien à l’AFP: «si on met en place un nouveau programme de soutien scolaire dans des écoles, on choisit 200 écoles au hasard, dont 100 mettront en place le programme et les 100 autres pas». Le but étant de comparer pour juger de l’efficacité de telle ou telle manœuvre. C’est ainsi que ces travaux auront notamment aidé à favoriser la vaccination de jeunes enfants en Inde, notamment.

De l’autre côté du cadre familial, une influence toute aussi forte. Son père, chercheur réputé en mathématique, est membre de l’Académie des sciences française.

En 2011, après le succès de son livre coécrit avec son mari, les deux économistes reçoivent le prix du livre économique de l’année Financial Times/Goldman Sachs. Un livre au titre familier pour le ménage: «Repenser la pauvreté». À moins de 40 ans, elle figure alors sur la liste des 100 personnes les plus influentes du monde selon le magazine américain Time.

L’année suivante, le couple donne naissance à leur premier et unique enfant. Par son appartenance au conseil scientifique de l’Éducation nationale, depuis 2018, la Française garde un pied dans son pays natal. Elle est également titulaire d’une chaire au collège de France. Le reste du temps, elle le partage entre les États-Unis, l’Afrique centrale et l’Inde, pour tenter d’apporter des solutions à la pauvreté et au manque d’éducation dans ces pays. Dans onze jours, le 25 octobre, elle fêtera son 47ème anniversaire, seulement.

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