L’accompagnatrice scolaire qui s’est vue contrainte d’enlever son voile au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, est revenue sur l’épisode en détails, qualifié par certains de provocation. Elle explique son sourire pendant cet incident qui a bouleversé son fils et ce qui l’a poussée à quitter finalement la salle.
Quelques jours après le scandale qui a éclaté suite à la demande de retirer son voile de l’élu Rassemblement national (RN) Julien Odoul adressée à une accompagnatrice d’élèves au sein du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, cette dernière, Fatima E., est sortie de son silence. Dans une interview accordée au Collectif contre l’islamophobie, elle est revenue sur les raisons qui l’avaient poussée à venir au conseil, sur les détails du déroulement de l’incident, ainsi que sur les conséquences que l’épisode a eu sur l’état psychologique de son fils, tout comme sur le sien.
«J’étais là sans être là»
Le déplacement de Fatima E. au conseil régional a été décidé «à la dernière minute», après que toutes les autres mères de la classe s’étaient désistées car indisponibles et que son fils et ses amis avaient insisté pour qu’elle vienne. La femme de 35 ans se rend en effet régulièrement aux soirées scolaires.
Le groupe d’élèves aurait dû rester pendant une dizaine de minutes dans la salle, où l’incident qui a engendré une vaste polémique s’est produit, pour voir «comment ça se passe».
«On était dans un coin; je pensais même que personne ne pouvait nous voir. Et là j’entends quelqu’un dire « au nom de la laïcité », puis j’entends des personnes qui commencent à crier, s’énerver. Franchement, j’étais là sans être là», a expliqué Fatima.
Son sourire, signe de provocation?
Lorsque les enfants lui ont signalé que c’était à elle que s’adressait l’élu, Fatima a souri à ce qu’elle considérait comme de la bêtise:
«Ce n’était pas pour narguer, comme j’ai pu entendre certains le dire», précise-t-elle en évoquant l’opinion de certains élus, dont Julien Odoul, qui pensent qu’il s’agissait d’une provocation de sa part.
Fatima a expliqué qu’elle n’avait pas voulu céder à la panique devant les enfants et avait essayé de les rassurer. Par la suite, plusieurs conseillers lui ont souri, dont Nisrine Zaibi qui a déclaré à Fatima qu’il la soutenait, poursuit-elle:
«Pendant ce moment où on m’encourage à rester, mon fils s’approche de moi et me saute dessus en pleurant. Et là aussi, je lui souris. Mais quand j’ai vu mon fils en train de craquer, je leur ai dit que je ne pourrai plus rester. […] Je tremblais de la tête aux pieds et je me sentais en train de tomber. Je ne voulais pas craquer devant les enfants, donc je suis sortie.»
«Tu veux que je te pousse?!»
Dans les escaliers, Fatima a été rejointe par Karine Champy, élue qui était auparavant au RN. Selon la protagoniste de cet épisode, la femme politique a essayé de la provoquer, mais en vain:
«Elle commence à m’attaquer: « Vous êtes contente?! Vous avez réussi votre coup? » […] Très énervée, et s’approche de moi: « Vous allez voir, on va gagner. Les Russes vont arriver! ». Je vous avoue que je n’ai pas du tout compris pourquoi elle m’a dit ça… Elle gesticulait beaucoup, et était à la limite de me bousculer. […] Je suis sûre qu’elle voulait me provoquer physiquement pour que je réagisse.»
Avant qu’une autre élue, Jacqueline Ferrari, n’intervienne pour calmer Karine Champy, cette dernière n’a pas lâché Fatima:
«J’ai gardé mon calme et je n’ai pas répondu à sa provocation. Ça ne l’a pas empêchée de continuer: « Tu veux que je te pousse, c’est ça? Tu veux que je te pousse?! »»
«Ils ont détruit ma vie»
Pour Fatima et son fils, les jours qui ont succédé à cet épisode ont été remplis d’inquiétude Elle ne souhaitait plus que de reprendre une vie normale «tranquillement et de souffler»:
«Fatiguée, j’ai peur de tout. Parfois le visage de cette dame me revient, j’ai des frissons et je tremble. Sincèrement, ils ont détruit ma vie… […] Il [le fils, ndlr] fixe un point, et c’est comme si son esprit partait. […] Ses nuits aussi sont très agitées. Il se réveille souvent.»
Après ce qu’il s’est passé, Fatima a «une opinion négative de ce qu’on appelle la République» et trouve «que le ministre de l’Éducation a dit quelque chose de honteux, lorsqu’il a parlé du voile»:
«Il vient de détruire tout un travail que je faisais indirectement auprès de cette classe, dont les élèves d’origine immigrée étaient parfois dans une attitude de penser que la France était contre eux et qu’ils sont rejetés. Et moi j’ai toujours argumenté contre ce discours.»