Des milliers de Libanais manifestant contre la corruption et les conditions de vie très difficiles ont bloqué vendredi pour le second jour consécutif des autoroutes principales dans le pays, où les plus importantes manifestations depuis des années menacent la fragile coalition gouvernementale.
Sous le feu des critiques, le Premier ministre Saad Hariri doit s’exprimer plus tard dans la journée, alors que les manifestations prennent de l’ampleur dans un contexte de grave crise économique persistante.
Les manifestations ont été déclenchées par l’annonce jeudi d’une décision du gouvernement d’imposer une taxe sur les appels effectués via les applications de messagerie Internet.
La décision a été aussitôt annulée sous la pression de la rue, mais les Libanais ont poursuivi leur mouvement pour exprimer leur ras-le-bol d’une classe politique accusée de corruption et d’affairisme dans un pays aux infrastructures en déliquescence et où la vie est chère.
Pneus et bennes d’ordures brûlés, routes coupées, forces de sécurité en alerte. Des colonnes épaisses de fumée noire s’élèvent au dessus de la capitale Beyrouth et de nombreuses villes du pays.
Les banques, les écoles, les universités et les institutions publiques sont restées fermées.
Les manifestants ont bloqué d’importants axes routiers reliant Beyrouth aux autres régions avec des pneus en feu, selon des correspondants de l’AFP sur place. Pour le deuxième jour consécutif, la circulation est perturbée sur la route principale menant à l’aéroport international de la capitale.
Arborant des drapeaux libanais et aux cris « Dehors, Dehors Hariri », ou « Le peuple veut la chute du régime », slogan du Printemps arabe, des manifestants se sont rassemblés devant le siège du gouvernement dans le centre-ville de Beyrouth, paralysé par le mouvement de protestation.
Yara, une jeune diplômée de 23 ans, a affirmé avoir rejoint ce mouvement non partisan, dans un pays habitué aux rassemblements à caractère politique et confessionnel et où la société est très polarisée politiquement.
« Pour une fois, les gens ne mettent pas en avant la religion ou le parti qu’ils soutiennent. Aujourd’hui ce qui est important c’est que tous les Libanais protestent ensemble », a-t-elle dit.
Près de 30 ans après la fin de la guerre civile au Liban (1975 – 1990), le pays est toujours en pénurie chronique d’électricité et d’eau potable et est miné par les crises politiques à répétition.
A la corruption endémique et aux infrastructures en déliquescence, viennent s’ajouter les répercussions économiques de la guerre en Syrie voisine depuis 2011. Outre les divisions au sein de la coalition gouvernementale sur nombre de sujets.
« Je veux de l’électricité, je veux que les rues soient éclairées ? Je ne veux plus entendre le bruit des générateurs » qui fournissent du courant à des prix exorbitants durant les heures où l’électricité publique est coupée, dit Dima Hassan 42 ans. « Commencez là … Au moins quelque chose ».
Les manifestations sont les plus importantes que celles qui avaient eu lieu en 2015 contre le pouvoir en raison de la crise des déchets, qui perdure elle aussi.
Elles ont été marquées dans la nuit par des heurts entre manifestants et forces de sécurité qui les ont dispersés à coups de gaz lacrymogènes.
Vingt-trois manifestants ont été blessés selon la Croix-Rouge libanaise, et 60 membres des forces de sécurité d’après la police.
Kamal, 30 ans, veut « un Etat dirigé par des gens non corrompus (…) Ras-le-bol » !
Les manifestations ont eu lieu notamment dans des régions dominées par le puissant Hezbollah chiite, mouvement armé pas habitué à des mouvements d’opposition dans ses fiefs.
Des manifestants ont également brûlé des portraits de M. Hariri, un sunnite, à Tripoli (nord). D’autres près de Beyrouth ont crié des slogans contre le président chrétien Michel Aoun.
« Les manifestations sont le résultat d’une accumulation de griefs, conséquence principale d’une mauvaise gestion du gouvernement », explique Sami Nader, du Levant Institute for Strategic Affairs, en citant un pouvoir d’achat faible et des taxes en augmentation. Il a parlé d’un mouvement « spontané ».
Ces dernières semaines la tension est montée au Liban avec des craintes d’une dévaluation et d’une pénurie de dollars sur les marchés de change.
Le pays s’est engagé en avril 2018 à introduire des réformes en contrepartie de promesses de prêts et de dons d’un montant total de 11,6 milliards de dollars.
La dette publique culmine à plus de 86 milliards de dollars, soit plus de 150 % du PIB, troisième taux le plus élevé au monde après le Japon et la Grèce.