L’installation à Budapest d’une banque suspectée d’être une branche des services secrets russes suscite l’inquiétude de l’opposition hongroise, mais aussi des Etats-Unis, à la veille d’une visite du président russe Vladimir Poutine en Hongrie.
Surnommée par l’opposition hongroise « le cheval de Troie de Poutine » en Europe centrale, l’International Investment Bank (IIB), dirigée par le fils d’espions soviétiques, a définitivement pris ses quartiers le mois dernier dans la capitale hongroise.
« C’était une mauvaise idée d’apporter l’International Investment Bank (IIB) à Budapest », a affirmé l’ambassade américaine dans un courrier électronique adressé à l’AFP mardi.
« Potentiellement, la Russie peut utiliser la présence de cette banque en Hongrie pour introduire des acteurs russes malveillants au sein de l’espace Schengen », ajoute la représentation diplomatique américaine, corroborant les craintes de l’opposition qui dénonce une « atteinte à la sécurité nationale ».
David Cornstein, l’ambassadeur nommé par Washington à Budapest « discute continuellement » de ce sujet avec les autorités hongroises, auxquelles il a fait part de ses « inquiétudes », précise le courrier électronique.
Des élus américains « profondément troublés » ont également envoyé une lettre le mois dernier au secrétaire d’État Mike Pompeo. L’IIB est « largement perçue comme une branche des services secrets russes », écrivent-ils.
Organe russe
Fondée en 1970, durant la guerre froide, par l’Union soviétique afin de renforcer les liens financiers entre les pays communistes, l’IIB est aujourd’hui officiellement enregistrée comme un organe à part entière de la fédération de Russie.
La banque devrait employer plus d’une centaine de personnes jouissant d’une immunité diplomatique grâce à son statut multilatéral et intergouvernemental, lorsqu’elle sera totalement opérationnelle l’année prochaine.
Cuba, la Mongolie et le Vietnam en sont coactionnaires avec cinq pays d’Europe centrale et orientale appartenant à l’Union européenne (UE) et à l’Otan (Bulgarie, Roumanie, Hongrie, Slovaquie et République tchèque).
L’IIB nie formellement toute velléité d’espionnage et se présente comme une nouvelle banque de développement amenée à distribuer des emprunts, alors que les cinq existantes dans l’UE étaient jusqu’à présent domiciliées dans des pays de l’Ouest du continent.
Lignée d’espions
Mais le soupçon est renforcé par le profil du président de son conseil d’administration, imposé par la Russie, contributrice principale: Nikolaï Kosov est selon la presse hongroise l’héritier d’une lignée d’espions soviétiques.
Sa mère, son père et son grand père ont travaillé pour le KGB. Le représentant hongrois auprès de l’IIB, Imre Boros a aussi travaillé pour les renseignements de son pays avant 1989.
« Il y a des risques évidents de sécurité qui ne semblent pas correctement traités », estime Andras Racz, spécialiste de la Russie au groupe allemand de réflexion sur les relations internationales (DGAP), les activités de la banque n’étant pas sujettes aux contrôles des organes hongrois de régulation.
« On y parle le russe, son siège était situé à Moscou pendant 49 ans, son directeur est russe: la Russie contrôle de facto toute sa structure décisionnaire. Il s’agit d’une banque dominée par la Russie », dit-il.
Opportunité économique
Le gouvernement hongrois estime que l’arrivée de ce nouvel acteur financier « va apporter à ses actionnaire, et parmi eux à la Hongrie, de nouvelles opportunités économiques », selon une réponse adressée par ses services aux questions de l’AFP.
Le portefeuille de prêts de l’IIB s’élevait à 830 millions d’euros en 2018. « Il pourrait avoir un impact positif » pour la Hongrie, affirme Andras Deak, de l’Académie hongroises de sciences, « mais ce dernier devrait rester modeste ».
Le nationaliste Viktor Orban a renforcé les liens économiques et politiques avec Moscou à partir de 2014, malgré l’annexion de la Crimée et l’instauration de sanctions européennes, signant avec Rosatom un contrat d’agrandissement de son principal site nucléaire portant sur 11 milliards d’euros.
Ce rapprochement s’inscrit dans une politique de diversification des alliances orchestrées par Viktor Orban, qui se démarque de plus en plus souvent de ses partenaires occidentaux sur les sujets diplomatiques, faisant cavalier seul.
Le premier ministre nationaliste, qui a noué des liens étroits avec le président turc Recep Tayyip Erdogan au cours des dernières années, a suscité les critiques de Bruxelles pour avoir retardé une déclaration conjointe de l’Union européenne appelant la Turquie à mettre fin à son action militaire en Syrie.
M. Erdogan doit rencontrer Viktor Orban à Budapest le 7 novembre. La Hongrie a également renforcé ses liens avec la Chine et des pays d’Asie centrale.
Vladimir Poutine a déjà été accueilli en visite officielle à Budapest en 2015 et 2017. L’IIB devrait être au menu des discussions bilatérales, qui porteront officiellement sur la signature de contrats d’approvisionnement gazier et le projet de livraisons communes à l’Égypte d’équipement ferroviaire.