Dirigeants et politiciens négocient jeudi l’avenir du Premier ministre Adel Abdel Mahdi en Irak, où la rue reste mobilisée pour réclamer « la chute du régime » après un mois d’une contestation ensanglantée par plus de 250 morts.
La télévision officielle a annoncé un discours du président de la République Barham Saleh « sous peu ».
Les manifestants mobilisés jour et nuit sur les places des villes du Sud et à Bagdad, assurent qu’ils ne rentreront chez eux qu’une fois l’ensemble du « régime » mis à bas.
Dans l’un des pays les plus corrompus au monde où les postes sont répartis en fonction des confessions et ethnies, le système politique créé après la chute de Saddam Hussein en 2003 doit être entièrement remanié, disent-ils.
Mais, jusqu’ici, ce sont ces divisions selon des lignes communautaires ou d’allégeances aux puissances influentes ennemies – l’Iran et les Etats-Unis – qui dictent le cours politique des événements.
La majorité gouvernementale est elle-même divisée. D’un côté, le populiste chiite Moqtada Sadr s’est montré aux milieu des manifestants. De l’autre, Hadi al-Ameri, chef des paramilitaires pro-Iran du Hachd al-Chaabi au Parlement, s’est aligné sur l’Iran pour qui « le vide » mène au chaos.
Or, la démission ou le limogeage du Premier ministre Adel Abdel Mahdi, un indépendant sans base partisane ou populaire, ne peut passer que par le Parlement qui peut lui retirer sa confiance et lui trouver un remplaçant.
Depuis lundi, cette Assemblée réclame que le Premier ministre se présente devant elle, en vain. Ce dernier réclame que la séance soit retransmise en direct à la télévision, une exigence à laquelle a accédé finalement le président du Parlement Mohammed al-Halboussi.
Les députés sadristes, en sit-in au Parlement depuis samedi, ont eux scandé « Adel doit venir! Adel doit venir! ».
Plus tôt, M. Saleh a reçu les représentants des principaux partis, a indiqué une source de son bureau en affirmant que l’Irak se dirige « vers une résolution ».
« On est fatigués de la situation des 16 dernières années », clame Salwa Mazher sur la place Tahrir de Bagdad. « Tout va de pire en pire », alors il faut « tous les arracher par la racine », dit-elle, reprenant l’un des slogans phare de la contestation.
« On n’a pas de problème avec Abdel Mahdi, on a un problème avec tous les politiciens », insiste-t-elle.
A 200 km plus au sud, à Diwaniya, la mobilisation n’a jamais connu une telle ampleur, selon un correspondant de l’AFP sur place. Les étudiants sont sortis, de même que les écoliers et enseignants en grève générale, ou encore les fonctionnaires.
A Nassiriya, Samawa et Amara, de nouveaux rassemblements se sont formés. A Bassora (sud), des manifestants ont à plusieurs reprises ces derniers jours bloqué la route menant au port d’Oum Qasr, suscitant l’inquiétude des autorités pour les importations notamment alimentaires.
La première semaine de contestation, du 1er au 6 octobre, s’est soldée selon un bilan officiel par la mort de 157 personnes, surtout des manifestants abattus par des « tireurs » que l’Etat n’a toujours pas identifiés. Le mouvement a repris le 24 octobre. Cent personnes ont été tuées depuis.
Après ce lourd bilan, « l’Irak est à la croisée des chemins », a estimé la mission de l’ONU en Irak. « Soit il progresse dans le dialogue, soit il se divise dans l’inaction », explique sa cheffe Jeanine Hennis-Plasschaert.
Dans la nuit, la violence a une nouvelle fois gagné la place Tahrir: les manifestants ont tenté, pour se rendre dans la Zone verte, de traverser un second pont bordant la place Tahrir, mais ont été stoppés par les grenades lacrymogènes et assourdissantes tirées par les forces de sécurité.
Sur le principal pont, Al-Joumhouriya, séparant Tahrir de la Zone verte, où se trouvent l’ambassade des Etats-Unis et les institutions de l’Etat, les forces de sécurité ont installé trois barrages de béton.
La veille, une roquette s’est abattue dans la Zone verte, à proximité de l’ambassade des Etats-Unis, tuant un soldat irakien et en blessant trois, selon des sources de sécurité.
Face à la rue, MM. Sadr et Ameri « ont intérêt à mettre fin à la crise », dit à l’AFP Maria Fantappie, du centre de réflexion International Crisis Group. « Mais leurs besoins sont diamétralement opposés et ils savent qu’il sera difficile de s’accorder sur un remplaçant » à M. Abdel Mahdi.
S’ils choisissaient l’option d’un technocrate, « on connaît déjà la fin de l’histoire: il sera lui aussi pris au piège et dépendant des blocs au Parlement » de MM. Ameri et Sadr, juge-t-elle. « Et la rue sera de nouveau en colère ».