Comment se positionner face aux défis posés par la Chine? La France cherche la réponse et veut se doter d’un socle stratégique unifié en accordant les violons de l’appareil d’Etat, démarche épineuse mais urgente face à l’activisme international de Pékin et sa guerre commerciale avec Washington.

Alors que le président Emmanuel Macron va effectuer sa deuxième visite en Chine la semaine prochaine, il a demandé au printemps dernier aux services de l’Etat français d’élaborer une doctrine, selon trois sources proches du dossier. Un besoin de plus en plus pressant à mesure que l’activisme international de Pékin augmente et que la guerre commerciale USA-Chine menace les équilibres mondiaux.

Les étapes de la démarche transitent par le Conseil de Défense, conseil des ministres restreint dévolu aux intérêts stratégiques. Aucune des sources n’en a dévoilé les détails, mais différents experts interrogés par l’AFP – qui ignoraient ce travail gouvernemental en cours – ont souligné la nécessité, en même temps que la difficulté, pour Paris d’avoir une vision stratégique claire vis-à-vis de Pékin, qui souhaite renforcer ses échanges avec l’Europe.

La Chine avec sa puissance, son modèle politique et économique unique, est en train de changer la face du monde et de poser une multitude de défis à l’appareil d’Etat français, qui est parfois en ordre dispersé.

Quelle doit être la position du gouvernement sur la préservation du patrimoine économique français contre les investissements chinois ou l’espionnage industriel ? Que doit faire la France, farouche partisane de la liberté de navigation en mer de Chine où Pékin tend à privatiser l’espace maritime ? Paris doit-il laisser Huawei occuper le premier rôle dans le déploiement de la 5G alors que planent sur le groupe des soupçons d’espionnage au profit des autorités chinoises ? Comment réagir à l’activisme de Pékin en Afrique, où, selon une source diplomatique: « les Français sécurisent des zones pour que les Chinois fassent ensuite du business. Nous sommes un peu les dindons de la farce ».

Les questions posées aux autorités françaises sont très nombreuses, et le rapport de force économique est déséquilibré (21 milliards d’euros d’exportations françaises vers la Chine en 2018, 50 milliards d’importation).

« On peut imaginer qu’il y ait une volonté de réfléchir de manière plus globale, une volonté de coordonner les politiques face à la Chine: Quel type de réponse apporter à tel type de demande, quel type de transfert de technologie, quel type d’investissement, tout en continuant d’avoir un dialogue étroit avec la Chine », estime Valérie Niquet, directrice du département Asie du think tank français FRS.

« Il était temps ! », s’exclame l’ancien ambassadeur de France à Pékin Jean-Maurice Ripert, qui juge que jusqu’ici, l’appareil d’Etat avait tendance à être « fasciné par les aspects positifs de la Chine », masquant « les points négatifs de l’évolution orchestrée par Xi Jinping ».

Un constat de vide stratégique partagé par le général (en retraite) Eric de la Maisonneuve, auteur des « Défis chinois » (éditions du Rocher). Avec Pékin, « on ne fait que du +blabla+ qui ne sert à rien, on n’a pas de base, de socle pour traiter les problèmes », dit-il à l’AFP.

Car au sein de l’appareil d’Etat français, l’éventail des positions est large, des partisans d’une ligne dure à ceux d’une approche très souple, ce qui n’a pas simplifié l’élaboration stratégique.

« Il y a eu des difficultés » à accorder les violons, « mais c’est terminé », assure une source de l’entourage présidentiel, qui ajoute que le dossier est encore « en cours d’instruction ».

« Les premiers travaux regorgeaient de termes comme +conforter+, +maintenir+, ‘renforcer' », ironise une autre source, pour dénoncer leur tiédeur.

Mais le besoin d’un positionnement clair et unifié en Europe est de plus en plus pressant, à mesure qu’évolue la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis.

« La rivalité USA-Chine est très structurante », explique la chercheuse Alice Elkman, analyste responsable de la Chine et de l’Asie à l’European Union Institute for Security Studies (EUISS) « et pose un certain nombre de questions pour les pays tiers, dont les pays européens: comment ne pas être pris dans le piège du choix, de la compétition. Comment développer une vision stratégique dans cet environnement ? ».

C’est aussi dans cette perspective européenne que la France entend placer sa réflexion, alors que la Commission a qualifié la Chine de « rival systémique » du vieux continent. M. Macron avait invité Angela Merkel et Jean-Claude Juncker à Paris lors de la visite d’Etat de Xi Jinping au printemps, et une ministre allemande participera à la visite française en Chine la semaine prochaine.

Pour M. Ripert, la stratégie française devrait englober ces deux points: « La Chine est-elle un partenaire important ? Evidemment oui. La Chine est-elle un allié, un ami ? Evidemment non », alors que Pékin est traditionnellement rétif à toute alliance en bonne et due forme.

« Nous aimons les partenariats mais tenons à rester non-alignés, car dans une alliance, il y a toujours un leader et un suiveur. A l’inverse, un partenariat suppose toujours l’indépendance et l’égalité des parties », déclarait en octobre devant le think tank « The Bridge tank » l’ambassadeur de Chine en France, Lu Shaye.

M. de la Maisonneuve explique: « les Chinois n’ont pas d’alliés, ils n’en ont jamais eu, ils ne savent pas ce qu’est une alliance (…), ils font des contrats, des partenariats ».

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