Plusieurs prix Goncourt ont été marqués par des scandales ou des polémiques alors que l’institution a récompensé, voici un siècle, après de très vives empoignades, Marcel Proust et « À l’ombre des jeunes filles en fleurs ».
En 1919, l’attribution du Goncourt à Proust par six voix sur dix fait scandale. Au sortir de la guerre, l’opinion patriotique plébiscite « Les Croix de bois », roman ancré dans les tranchées où l’auteur, Roland Dorgelès, a combattu plus de deux ans comme engagé volontaire.
Lui préférer « Les jeunes filles en fleurs », évocation de la haute société, de ses salons et ses vacances, crée une « émeute littéraire », selon Thierry Laget, auteur d’un ouvrage sur la question, « Proust, prix Goncourt ».
La presse crie à l’injustice et se déchaîne contre Proust jugé trop vieux (48 ans), trop riche (les 5.000 francs du Prix seraient plus utiles à un autre), trop mondain, homosexuel et planqué.
C’est un des grands loupés du Goncourt, même s’il y en eut d’autres (Yourcenar, Apollinaire ou Colette). Guy Mazeline, auteur du roman « Les Loups » et lauréat 1932, n’est resté dans la postérité que pour avoir gagné face à Louis-Ferdinand Céline et son « Voyage au bout de la nuit », un des plus grands romans du siècle, couronné le même jour par le prix Renaudot.
Au sein du jury, la défense de Céline est menée par Léon Daudet, déjà grand défenseur de Proust.
Avec « Le rivage des Syrtes », Julien Gracq est, cet automne 1951, le favori. Avant même d’être cité pour le prix, il affirme qu’il le refusera. Il vient d’écrire « La littérature à l’estomac », pamphlet dans lequel il regrette qu’on s’intéresse plus à l’auteur qu’aux livres. Il déplore que « le jury n’a(ait) pas tenu compte de (son) attitude ». Pour cet homme intègre, les prix sont davantage affaire de librairies que de littérature.
L’éditeur José Corti refuse d’habiller les volumes de la traditionnelle bande « prix Goncourt ». Il vend 110.000 exemplaires du roman la première année, seulement 175 la deuxième. Julien Gracq y voit la confirmation du caractère artificiel des prix. Depuis, les ventes du livre ont totalisé environ 300.000 exemplaires, sans paraître en poche. La seule autre édition est celle de la Pléiade.
– Deux prix pour un seul auteur –
Romain Gary a laissé derrière lui l’une des plus grandes supercheries de l’histoire littéraire, recevant deux fois le prix Goncourt sous deux noms différents.
Le premier sous celui de Romain Gary pour « Les Racines du ciel » en 1956, le second pour « La Vie devant soi », décerné en 1975 à Emile Ajar. Il soulignera dans son oeuvre posthume « Vie et mort d’Emile Ajar »: « c’était une nouvelle naissance. Je recommençais. Tout m’était donné encore une fois » .
Camouflet pour l’institution Goncourt, la supercherie n’est dévoilée qu’en 1980, après la mort de l’écrivain.
En 1960, Vintilia Horia, écrivain roumain d’expression française remporte le prix pour son roman « Dieu est né en exil », mais, après la révélation de son passé et de ses écrits fascistes, il décline le prix et quitte la France. « Le prix reste attribué mais non décerné », selon l’académie Goncourt.
En 1953, Simone de Beauvoir se voit déjà remporter le prix pour « L’invitée ». On dit qu’elle s’est même acheté une robe pour l’événement. Finalement, c’est Marius Grout, oublié depuis longtemps, qui gagne. En 1954, la romancière l’emporte avec « Les mandarins ».
La jurée Paule Constant raconta en 2003 qu’elle n’accorda qu’une interview, à « l’Humanité Dimanche ». Et n’accepta de poser que pour une seule photo, avec sa mère. Elle répondit qu’elle aimait bien les journalistes, mais pas leurs journaux ».
Favori pourtant évincé en 1998 pour « Les particules élémentaires », Michel Houellebecq rate deux nouvelles fois la marche du Goncourt (en 2001 pour « Plateforme », en 2005 pour « La possibilité d’une île »), avant d’être primé en 2010 pour « La carte et le territoire ».
Les jurés le couronnent en moins de deux minutes par sept voix contre deux. Accueilli comme une rock-star par des journalistes déchaînés chez Drouant, restaurant parisien où est proclamé le nom du lauréat, l’écrivain jusqu’alors mauvais perdant se dit « profondément heureux ».