Le 22 novembre, le Liban célèbre son 76ème anniversaire de la naissance de la République en pleine contestation populaire contre la classe dirigeante, les manifestants affichant leur espoir d’une « nouvelle indépendance » pour le pays.
Depuis le 17 octobre, le pays vit au rythme d’une protestation sans précédent contre l’ensemble des dirigeants politiques, jugés incompétents et corrompus. Il a insufflé chez des centaines de milliers de Libanais, de tous bords, la volonté d’un chamboulement du système de gouvernance, inchangé depuis des décennies.
« C’est la première fois que les Libanais, toutes communautés confondues, manifestent massivement sans l’appel d’aucun parti, et contre tous les partis », affirme à l’AFP Tamara, étudiante de 21 ans à Beyrouth. « C’est ça la vraie indépendance », ajoute-t-elle.
Le 22 novembre 1943, le Liban, sous mandat français depuis 1920, accédait à l’indépendance après des manifestations populaires ayant rassemblé alors, dans un premier élan d’unité, chrétiens et musulmans.
Le pays a toutefois connu par la suite une guerre civile (1975 – 1990) et deux occupations étrangères, israélienne (1978 – 2000) et syrienne (1976 – 2005). Et il est resté profondément divisé, confessionnellement et politiquement.
Mais, cette année, sur la place des Martyrs, un haut lieu de la contestation, Wajed se prépare lui aussi à célébrer une indépendance au goût différent.
« Nous voulons prendre notre indépendance des (…) corrompus qui nous gouvernent », clame ce manifestant de 26 ans.
« Quand les Français sont partis (…), d’autres nous ont occupés », juge l’homme coiffé d’une casquette, en référence aux partis au pouvoir depuis des décennies et qui sont conspués depuis plus d’un mois.
Contestation oblige, le programme des festivités a été chamboulé.
Le défilé militaire traditionnel organisé chaque année sur le front de mer s’est mué en modeste parade en matinée, dans l’enceinte même du ministère de la Défense, en présence du président Michel Aoun et du Premier ministre démissionnaire Saad Hariri.
La cérémonie protocolaire prévue ensuite au palais présidentiel a été annulée.
Pour Wajed, cela constitue en soi une « victoire » de plus pour un mouvement qui a déjà entraîné la démission du gouvernement, le 29 octobre, et empêché la tenue de séances parlementaires sur une loi d’amnistie générale controversée.
Dans le même temps, aucune issue à ce bras de fer n’est toutefois en vue, alors que le pays est plongé dans une crise économique persistante. Lors d’une allocution télévisé jeudi soir, M. Aoun a réitéré son appel à un « dialogue », mais sans formuler de proposition concrète.
En outre, si le mouvement est resté pacifique jusque-là, et la réponse des autorités mesurée, deux personnes sont mortes en marge des manifestations.
Mais la détermination ne faiblit pas, et les appels ont fusé sur les réseaux sociaux pour organiser des « défilés civils » dans le pays afin de répéter l’exigence d’un départ des dirigeants.
Cierges, lampes téléphones portables ou encore briquets: les manifestants ont aussi été appelés, via WhatsApp, à faire jaillir la « lumière de l’indépendance » après la tombée de la nuit.
A Saïda (sud), un rassemblement est prévu sous le signe de l’indépendance à l’égard de « l’obscurité, du vol, de la corruption et de la pauvreté ».
Une version revisitée de l’hymne national circule pour rendre hommage aux femmes, en première ligne de la contestation.
Dans son histoire moderne, le pays a connu d’autres mouvements populaires.
En 2005, la « révolution du Cèdre » avait eu lieu après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, imputé au régime syrien.
Mais les rassemblements monstres, qui avaient abouti au départ des troupes de Damas, s’étaient tenus à l’appel des partis faisant partie d’un régime de gouvernance désormais largement décrié.
« Le sentiment cette année est différent », résume Dina Abou Dahr, 55 ans, également présente place des Martyrs. « C’est la première fois que (la fête de) l’indépendance revêt un sens à mes yeux ».
Non loin de l’imposante mosquée Al-Amine, Youssef el Gherez a érigé avec d’autres des tentes où se déroulent pèle-mêle réunions de coordination, débats et même séances de yoga.
« Les gens (…) veulent changer les choses en profondeur, jusqu’aux racines », estime-t-il.
Galvanisés, de nombreux expatriés ont aussi décidé de participer à ce 22 novembre hors norme.
Une campagne a émergé sur les réseaux sociaux, explique Tracy Saad, une étudiante de 23 ans à Amsterdam qui en est l’une des coordinatrices.
« Nous nous sommes organisés en groupes pour négocier des tarifs préférentiels », raconte-t-elle.
Des centaines de personnes doivent venir du Golfe, d’Europe, d’Amérique du Nord ou encore d’Australie. Ils se dirigeront en cortège de l’aéroport à la place des Martyrs, pour participer aux festivités populaires.