Grâce aux sanctions, des fromages russes couronnés d’or

C’est dans sa cuisine aux abords de Moscou qu’Elvira Kovtoun, alors femme au foyer, a fait son premier fromage.

Quatre ans après, elle dirige une affaire florissante, portée par les sanctions que Russes et Occidentaux s’imposent mutuellement.

Les fromages à pâtes dures Peshernyi qu’elle produit avec son mari ont remporté l’or le mois dernier à la 32e édition des prestigieux World Cheese Awards, une première pour un fromage russe.

« Je ne pensais pas que c’était possible », s’enthousiasme l’heureux époux, Viatcheslav Kovtoun, en recevant l’AFP dans la petite crémerie installée dans la ville industrielle de Korolev, près de Moscou.

Au-delà de ce succès personnel du couple, leur fromagerie illustre les progrès de certaines branches du secteur agro-alimentaire russe depuis que Vladimir Poutine a décrété un embargo sur de nombreux produits occidentaux, en représailles aux sanctions prises en 2014 contre Moscou en raison de la crise ukrainienne.

Depuis cinq ans, le gouvernement russe a multiplié les efforts pour développer des produits de remplacement aux importations. Dans beaucoup de domaines, les résultats sont très discutables, en particulier dans la pharmacie ou les technologies, où des problèmes de qualité et de prix se posent.

Mais pour le secteur agro-alimentaire, ce fut un cadeau du ciel. Nombre de crémeries artisanales se sont créées pour pallier au manque. Le même phénomène a été constaté pour des fruits et légumes, libérés de la concurrence de produits comme les pommes polonaises ou la tomate hollandaise.

Selon l’association des laitiers russes, la production de fromages et produits fromagers a augmenté d’un tiers entre 2013 et 2018, à 670.000 tonnes par an.

La semaine dernière, Vladimir Poutine a confié qu’il était « assez inquiet » lorsque les premières mesures punitives ont visé Moscou, mais qu’il était aujourd’hui satisfait des « résultats très sérieux et probants ». « Toutes ces restrictions sont allées en faveur de notre économie », a-t-il assuré.

Elvira et Viatcheslav, tous deux 40 ans, sont les premiers surpris par le succès fulgurant de leur crèmerie Beer & Cheese ouverte en 2018.

Déjà, la demande est supérieure à leurs capacités de production. Noyé sous les commandes, leur fromage distingué au World Cheese Awards est épuisé jusqu’en avril, le Peshernyi, avec ses accents de noix et de fruits, arrivant à maturation en sept mois.

Le couple produit une vingtaine de variétés, dont une sorte de camembert et un autre approchant du brie parfumé truffes.

« Je ne peux pas vivre un seul jour sans fromage. Ce sont mes bébés », souffle Elvira, parlant telle une artisan de longue date.

John Farrand, le directeur de la Guild of Fine Food qui organise le concours, relève même le « vrai sens du terroir » des Kovtoun. Pourtant, la Russie, héritière de l’Union soviétique, n’a guère d’expérience de l’artisanat, l’URSS ayant largement privilégié les productions industrielles et uniformisées, ravageant les savoir-faire anciens.

L’absence de tradition fromagère pourrait pourtant se transformer en avantage, car les fromagers russes sont « libérés de la pression de la tradition, les artisans du pays peuvent innover », relève M. Farrand.

Les Kovtoun se sont également attiré les louanges de leur concurrent Oleg Sirota, le producteur de fromage le plus connu de Russie et qui à 31 ans dirige aussi l’Union des fromagers russes, le lobby du secteur.

Il raconte ainsi que Viatcheslav Kovtoun l’avait abordé en 2016 dans une station service pour lui dire qu’il voulait vendre son entreprise de construction pour apprendre.

C’est désormais chose faite, à la grande satisfaction de M. Sirota: « Plus on a de bonnes crémeries, plus les gens vont nous faire confiance », relève le jeune homme, qui aussi obtenu un prix en octobre dans un autre concours international en France.

Aujourd’hui, M. Sirota et les Kovtoun prévoient de faire croître leurs business respectifs et remercient l’embargo de Vladimir Poutine qui a provoqué cette inattendue « ruée vers le fromage ».

« Nous n’avons rien inventé de nouveau », relève Viatcheslav Kovtoun. « La Russie produisait beaucoup de fromage il y a cent ans et l’exportait vers l’Europe et la Baltique. Nous faisons revivre les recettes de nos aïeux ».

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