La loi ukrainienne sur la langue officielle n’établit pas un équilibre entre le renforcement de la langue ukrainienne et la préservation des droits linguistiques des minorités.
Telle est la conclusion de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) adoptée le 6 décembre 2019.
« Pour éviter que la question linguistique ne devienne une source de tensions interethniques en Ukraine, il est capital pour les autorités de rechercher un équilibre approprié dans leur politique linguistique. Elles ne l’ont pas fait jusqu’ici, même dans la récente loi sur la langue officielle. Telle est la principale conclusion du nouvel avis adopté aujourd’hui par la Commission de Venise, l’organe d’experts en droit constitutionnel du Conseil de l’Europe.
Les experts reconnaissent que la politique linguistique est une question extrêmement complexe, sensible et hautement politisée en Ukraine, en particulier dans le contexte du conflit actuel avec la Russie. Compte tenu de la place particulière de la langue russe en Ukraine, ainsi que de l’oppression de la langue ukrainienne dans le passé, la Commission de Venise comprend parfaitement la nécessité de promouvoir l’utilisation de l’ukrainien comme langue officielle. Il est donc louable que la loi sur la langue officielle prévoie des mesures positives à cette fin en obligeant l’État à donner à tout citoyen ukrainien la possibilité de maîtriser la langue par le biais du système éducatif, d’organiser des cours de langue gratuits et de promouvoir l’accès aux films et autres produits culturels en ukrainien.
La Commission se félicite également que, dans plusieurs domaines, la loi sur la langue officielle prévoie l’utilisation des langues minoritaires parallèlement à la langue d’État en faisant référence à la loi prévue sur les minorités. Toutefois, la loi sur les minorités n’a pas encore été élaborée, même si elle aurait dû l’être en même temps que la loi sur la langue officielle afin d’assurer d’emblée l’équilibre nécessaire. Les experts du Conseil de l’Europe invitent l’Ukraine à élaborer sans retard inutile la loi sur les minorités et d’envisager de reporter jusqu’à l’adoption de cette loi la mise en œuvre des dispositions de la loi sur la langue officielle qui sont déjà en vigueur.
Les autorités sont invitées à réviser la loi sur la langue officielle et à élaborer la loi sur les minorités en consultation avec toutes les parties intéressées, en particulier les représentants des minorités nationales et des peuples autochtones. La Commission de Venise recommande expressément de supprimer les dispositions de la loi qui prévoient un traitement différencié entre les langues des peuples autochtones, les langues des minorités nationales qui sont des langues officielles de l’UE et les langues des minorités nationales qui ne sont pas des langues officielles de l’UE, si un tel traitement n’est pas fondé sur une justification objective et raisonnable. Par exemple, la période transitoire de mise en œuvre des dispositions très critiquées de la loi sur l’éducation a été prolongée du 1er septembre 2020 au 1er septembre 2023, mais uniquement pour les étudiants dont la langue maternelle est une langue de l’UE, et non pour ceux qui ont d’autres langues maternelles, dont le russe. La Commission recommande de prolonger cette période pour toutes les minorités nationales et les peuples autochtones.
En outre, les autorités devraient envisager d’abroger le mécanisme de plainte et de sanctions prévu par la loi ou au moins de le limiter strictement à la sphère publique et aux cas les plus extrêmes. Si le mécanisme devait être maintenu, les dispositions relatives aux sanctions ne devraient pas être appliquées avant l’adoption de la loi sur les minorités et la révision de la loi sur la langue officielle.
L’article établissant la responsabilité en cas de déformation délibérée de la langue ukrainienne dans les documents et textes officiels devrait également être supprimé. La Commission de Venise invite le législateur à réexaminer les quotas de contenu en ukrainien imposés aux radio-télédiffuseurs par la loi sur la langue officielle dans un souci de proportionnalité. En outre, la Commission note que les particuliers doivent être autorisés à utiliser entre eux une langue minoritaire, y compris lorsqu’elle est visible et audible par d’autres personnes dans les lieux publics ; la possibilité de distribuer du matériel de campagne électorale dans des langues autres que l’ukrainien ne doit pas être limitée aux zones de résidence compactes des minorités. La loi doit prévoir des exceptions claires pour l’usage des langues autres que l’ukrainien dans les situations d’urgence (e.g. dans les communications avec les services de secours tels que la police, les pompiers, le personnel hospitalier, etc.). Les dispositions imposant à la presse rédigée dans une langue minoritaire d’être publiée simultanément le même jour en ukrainien devraient être abrogées ; et la disposition sur l’ensemble des noms géographiques et toponymes devant être uniquement en ukrainien ainsi que d’autres dispositions de la loi devraient être revues », peut-on lire dans le communiqué.