L’Union européenne, Berlin en tête, et Moscou ont fortement critiqué samedi les sanctions américaines contre le gazoduc Nord Stream 2, au coeur d’une bataille économique et géopolitique entre Washington et Bruxelles.
Ces sanctions sont survenues alors que les Etats-Unis ainsi que certains pays européens – l’Ukraine, la Pologne et les pays baltes – craignent que ce projet accroisse la dépendance des Européens au gaz russe, et renforce l’influence de Moscou.
Entérinées la veille par le président américain Donald Trump, les mesures américaines « affectent des sociétés allemandes et européennes et constituent une ingérence dans nos affaires intérieures », a réagi Ulrike Demmer, une porte-parole d’Angela Merkel.
Dans un entretien à la télévision publique ARD, le vice-chancelier et ministre des Finances Olaf Scholz a parlé lui « d’une intervention grave dans les affaires intérieures de l’Allemagne et de l’Europe », tout en excluant des contre-mesures. « Il revient aux entreprises qui participent à la construction du gazoduc de prendre les prochaines décisions », a-t-il dit.
L’Allemagne est la principale bénéficiaire du projet.
Un porte-parole de l’UE a de son côté exprimé l’opposition de Bruxelles « par principe à l’imposition de sanctions contre des entreprises européennes se livrant à des activités légales ».
Première conséquence de ces sanctions: l’entreprise suisse Allseas, qui possède le plus grand navire de pose de pipelines du monde et était engagée par le groupe russe Gazprom pour construire la section offshore du gazoduc, a annoncé samedi la suspension de ses travaux d’installation du gazoduc.
L’entreprise précise qu’elle attend à présent « des clarifications réglementaires, techniques et environnementales de la part des autorités américaines compétentes ».
Ces sanctions, qui font partie d’une large loi portant sur le budget de défense américain pour l’année fiscale 2020, comprennent le gel des avoirs et la révocation des visas américains pour les entrepreneurs liés au gazoduc. Le département d’Etat américain doit désormais communiquer dans les 60 jours les noms des entreprises et des personnes concernées.
L’annonce jette le trouble sur l’avenir de ce gigantesque investissement d’une dizaine de milliards d’euros, quasiment terminé et dont l’entrée en service était programmée pour fin 2019 ou, plus probablement, début 2020.
Nord Stream 2 a confirmé la suspension des travaux d’Allseas. « Avec toutes les entreprises supportant le projet, nous allons travailler pour finir le gazoduc dès que possible », a indiqué un porte-parole de l’entreprise.
Moscou a également vertement critiqué la mise en place des sanctions, s’en prenant à « l’idéologie américaine (qui) ne supporte pas la concurrence mondiale ».
« Un Etat avec une dette publique de 22.000 milliards de dollars interdit à des pays solvables de développer leur économie réelle », a ainsi déclaré sur Facebook la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova. « Bientôt, ils demanderont qu’on arrête de respirer », a-t-elle ironisé.
Sur Twitter, le Premier ministre ukrainien Oleksiï Gontcharouk a en revanche « salué la signature par Donald Trump des sanctions contre Nord Stream ». Le nouveau gazoduc réduirait encore l’influence de l’Ukraine, par laquelle transite une partie du gaz russe vers l’Europe.
Construit à plus de 80%, le gazoduc sous-marin qui relie la Russie à l’Allemagne doit permettre de doubler les livraisons directes de gaz naturel russe vers l’Europe occidentale via l’Allemagne.
Les Etats-Unis ont justifié leurs sanctions par leur volonté de soutenir Kiev, en conflit avec la Russie depuis l’annexion de la Crimée en 2014 et la guerre dans l’est de l’Ukraine.
Mais étant donné le protocole d’accord signé vendredi entre les deux protagonistes pour prolonger le transit du gaz russe en Ukraine à partir de 2020, les sanctions apparaissent « particulièrement incompréhensibles », a estimé samedi la porte-parole de la chancellerie.
Le gazoduc représente un investissement d’une dizaine de milliards d’euros financé pour moitié par Gazprom et l’autre moitié par cinq sociétés européennes (OMV, Wintershall Dea, Engie, Uniper et Shell). Il était censé entrer en service fin 2019 ou, plus probablement, début 2020.
Depuis ses débuts, de nombreux obstacles se sont dressés sur le chemin de Nord Stream 2, qui n’a obtenu que fin octobre le feu vert du Danemark pour traverser ses eaux. Cela risque fort de retarder sa mise en service, initialement prévue fin 2019.
Les nouvelles règles de l’UE sur le transport du gaz, qui demandent notamment le « découplage » des activités de production et de distribution, constituent également un obstacle supplémentaire.