Le président irakien a mis jeudi sa démission dans la balance, expliquant qu’il refusait de proposer au Parlement le nom du candidat des pro-Iran pour le poste de Premier ministre, aggravant un peu plus la crise politique.
Se disant garant de l' »intégrité » et de l' »indépendance » du pays, Barham Saleh – un Kurde issu d’un parti traditionnellement proche du voisin iranien mais qui depuis le début il y a trois mois d’une révolte sans précédent fait de la résistance au milieu d’autorités conspuées par la rue – a envoyé une lettre au Parlement.
Le président s’y dit « prêt à démissionner » car, dit-il, la Constitution l’oblige à proposer au Parlement le candidat de la « plus grande coalition » au Parlement, titre que revendique la coalition emmenée par les paramilitaires pro-Iran, mais que d’autres forces lui disputent.
« Le président n’a constitutionnellement pas le droit de s’opposer (…) donc j’annonce ici que je suis prêt à démissionner devant le Parlement », affirme M. Saleh dans sa lettre.
Depuis que le Premier ministre Adel Abdel Mahdi a démissionné fin novembre, après avoir été lâché par le grand ayatollah Ali Sistani, figure tutélaire de la politique irakienne, les pro-Iran poussaient pour que le ministre démissionnaire de l’Enseignement supérieur le remplace.
Mais, puisqu’ils n’ont pas pu l’imposer à M. Saleh qui a fait valoir que sa désignation alimenterait plus encore la colère de la rue, ils ont désormais un nouvel homme.
Il s’agit d’Assaad al-Aïdani, gouverneur de Bassora, qui s’est déjà illustré à l’été 2018 en descendant personnellement de son convoi pour s’en prendre à des manifestants dans sa grande cité pétrolière, la deuxième ville du pays.
« On ne veut pas d’Assaad l’Iranien », scandent les manifestants à Kout, ville du sud, tandis que sur la place Tahrir de Bagdad, d’immenses portraits de cet ancien opposant à Saddam Hussein, un temps réfugié en Iran puis détenu plusieurs années dans les geôles du dictateur, s’étalent, barrés d’une grande croix rouge.
Pour les protestataires, les « candidats des partis » sont d’emblée refusés. Eux veulent des indépendants et des technocrates qui n’ont pas été aux affaires au sein du système politique, installé en 2003 par les Américains et désormais noyauté par les Iraniens.
Depuis le 1er octobre, ils réclament dans la rue une refonte totale du système de répartition des postes en fonction des ethnies et des confessions et la renouvellement d’une classe politique inchangée depuis 16 ans.
« Le gouvernement est l’otage des partis corrompus et des divisions confessionnelles », accuse ainsi Sattar Jabbar, manifestant de 25 ans à Nassiriya (sud).
« On poursuivra le mouvement malgré la répression des autorités et les hommes armés des milices », promet de son côté Ali Jihad, un autre protestataire à Nassiriya, où, dans la nuit, des manifestants ont une nouvelle fois brûlé le siège du gouvernorat, déjà visé par un incendie depuis le début de la révolte.
A Diwaniya, également dans le sud, ils ont brûlé un nouveau QG d’une milice pro-Iran et continuent jeudi de bloquer une des autoroutes principales du pays.
Depuis le 1er octobre, près de 460 personnes ont été tuées et 25.000 blessées, quasiment tous des manifestants. A partir de décembre, les violences dans les rues et les tirs sur les défilés ont faibli, laissant la place à une intense campagne d’intimidation.
Plusieurs militants ont été assassinés, quasiment toujours par balles et généralement en pleine rue. Des dizaines d’autres ont été enlevés, souvent devant chez eux alors qu’ils rentraient de manifestations, parfois même à l’intérieur de leur domicile.
Cette campagne, accuse l’ONU, est le fait de « milices » qui veulent faire taire une révolte inédite parce que spontanée et menée principalement par des jeunes.
Ces derniers, qui constituent 60 % de la population, exigent désormais d’être représentés au sein d’autorités vieillissantes dont les dirigeants refusent de céder la place.
Signe de la colère des manifestants, à Bassora, Nassiriya ou Diwaniya, flammes et fumée noire ont plané toute la nuit sur les grands axes ou les ponts enjambant l’Euphrate, ont rapporté des correspondants de l’AFP.
Dans la matinée, certains blocages ont été levés, une fois l’heure de l’embauche des fonctionnaires passée, notamment aux abords du port d’Oum Qasr, vital pour les importations, à la pointe sud, et à Bagdad, où ils avaient provoqué des embouteillages monstres et paralysant les grands axes de la deuxième capitale la plus peuplée du monde arabe.
Les administrations et les établissements scolaires restent toutefois toujours fermés dans la quasi-totalité des villes du sud.