Bagdad menace de « revoir » ses relations avec Washington, des députés appellent à bouter ses soldats hors d’Irak et des manifestants brûlent ses drapeaux : la mort de 25 combattants pro-Iran dans des raids de représailles américains suscitait lundi l’indignation en Irak.
Le gouvernement s’est dit forcé de « revoir ses relations et son cadre de travail » avec Washington qui compte 5.200 soldats en Irak, pays qu’il a envahi en 2003 avant de s’en retirer en 2011 pour revenir à la tête de la coalition antijihadistes trois ans plus tard.
Aujourd’hui, après 25 morts dans des raids américains contre une faction pro-Iran intégrée aux troupes irakiennes et un sous-traitant américain tué dans la dernière d’une dizaine d’attaques à la roquette, les relations entre les deux alliés traversent de fortes turbulences.
Bagdad dit qu’il va convoquer l’ambassadeur américain, Washington répond que l’Irak n’a pas su « protéger » ses soldats et diplomates, présents « à (son) invitation ».
Car, pour les Américains, la menace la plus sérieuse aujourd’hui, ce ne sont plus les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) mais les combattants du Hachd al-Chaabi, une coalition de paramilitaires anti-EI désormais intégrée aux forces irakiennes.
Ils accusent les brigades du Hezbollah, l’une des factions les plus proches de l’Iran au sein du Hachd, de plusieurs tirs de roquettes contre leurs intérêts et ont bombardé leurs bases pour « envoyer un message très clair sur l’importance que nous accordons aux vies américaines », explique le secrétaire d’Etat adjoint chargé du Moyen-Orient, David Schenker.
« Les forces américaines ont agi en fonction de leurs priorités politiques et non de celles des Irakiens », dénonce le gouvernement irakien. Celui-ci fait face depuis trois mois à une révolte dont le mot d’ordre est « On veut notre pays », en réponse aux ingérences extérieures dans un pays où les politiciens s’accusent mutuellement d’allégeance à Washington, Téhéran, Ryad ou Istanbul.
Les raids des Etats-Unis font passer pour le moment au second plan la révolte inédite contre le pouvoir à Bagdad et son parrain iranien, qui semble jusqu’ici le grand vainqueur du jeu d’influence contre les Etats-Unis.
Dans la quasi-totalité des villes du sud du pays, des manifestants ont conspué Washington, brûlant ou piétinant des drapeaux américains.
Les brigades du Hezbollah ont annoncé des obsèques publiques mardi à Bagdad, près de la Zone verte où siège l’ambassade américaine, et celles-ci pourraient se transformer en démonstration de force.
Pour Téhéran, ces frappes montrent le « soutien au terrorisme » des Etats-Unis.
En Irak, des dizaines de députés ont signé un appel pour que soit réexaminé l’accord de coopération américano-irakien encadrant la présence de 5.200 soldats américains dans le pays.
Les brigades du Hezbollah ont appelé à « dégager l’ennemi américain » tandis qu’une autre faction pro-Iran, Assaïb Ahl al-Haq, a jugé que la présence militaire américaine était devenue « une source de menace » qu’il fallait « tout faire pour expulser ». Et même les partis d’opposition, réputés proches de Washington, ont dénoncé les frappes américaines.
En soirée, le Premier ministre démissionnaire Adel Abdel Mahdi a reconnu en avoir été informé peu avant qu’elles n’aient lieu par M. Esper.
« Nous avons essayé de prévenir des commandants », a-t-il poursuivi, visiblement en vain, étant donné l’important bilan humain et les dégâts matériels.
Les attaques contre des intérêts américains ou des bases des pro-Iran font aussi redouter ce contre quoi les dirigeants irakiens mettent en garde depuis des mois: que leurs deux alliés américain et iranien utilisent l’Irak comme champ de bataille.
« Les autorités doivent empêcher que l’Irak ne devienne un espace où régler ses comptes », a prévenu le bureau du grand ayatollah Ali Sistani, figure tutélaire de la politique irakienne.
De son côté, Moscou a mis en garde contre une escalade qui « pourrait fortement déstabiliser » un Moyen-Orient en pleine tourmente.
L’Irak lui-même est déjà le théâtre d’une révolte populaire qui réclame la mise à bas du système politique installé par les Américains en 2003 et désormais noyauté par les Iraniens.
Ce mouvement marqué par près de 460 morts et 25.000 blessés a entraîné une crise politique, dans laquelle l’Iran joue un rôle central.
Depuis la démission du gouvernement il y a un mois, Téhéran et ses alliés en Irak poussent pour placer un de leurs hommes à la tête du futur cabinet. En face, le président Barham Saleh menace de démissionner à son tour.
Les manifestants restent mobilisés à Bagdad et paralysent toujours administrations et écoles dans la quasi-totalité des villes du Sud.
Et ce, malgré une vaste campagne d’intimidation, menée selon l’ONU par des « milices » qui assassinent, enlèvent et menacent militants et manifestants. Lundi soir une nouvelle figure de la contestation a été abattue par balles à Nassiriya (sud), selon des sources policières.
L’un des derniers messages sur Facebook d’Ali al-Khafaji avant son assassinat affirmait: « Celui qui a donné un prétexte aux Américains pour tuer nos fils, c’est celui qui a tiré 30 roquettes sur leur base ».