L’Iran a promis de venger « au bon moment et au bon endroit » l’assassinat d’un de ses puissants généraux, Qassem Soleimani, tué vendredi dans une attaque de drone des Etats-Unis à Bagdad, une escalade qui fait craindre un conflit ouvert entre les deux pays ennemis.
L’Irak a dit redouter « une guerre dévastatrice » sur son sol après le raid inédit qui a tué l’homme-clé de l’influence iranienne au Moyen-Orient et son premier lieutenant irakien Abou Mehdi al-Mouhandis, numéro deux du Hachd al-Chaabi, ces paramilitaires irakiens majoritairement pro-iraniens.
La frappe, qui a suscité des réactions inquiètes dans le monde, a été ordonnée par le président américain Donald Trump après une attaque mardi des partisans et des combattants du Hachd contre l’ambassade des Etats-Unis à Bagdad.
C’est le « tir de précision d’un drone », a indiqué à l’AFP un responsable militaire américain, qui a pulvérisé en pleine nuit les deux véhicules à bord desquels se trouvaient Soleimani et Al-Mouhandis, à la sortie de l’aéroport international de Bagdad.
Soleimani, chef de la Force Qods des Gardiens de la révolution, chargée des opérations extérieures d’Iran, est mort sur le coup, tout comme Al-Mouhandis, homme de l’Iran à Bagdad et ennemi numéro un en Irak des Etats-Unis depuis des décennies.
Selon un responsable local, le commandant irakien « était venu chercher Qassem Soleimani à l’aéroport, ce qui d’habitude n’arrive pas. Il l’a accueilli ainsi que deux autres visiteurs et leurs véhicules ont ensuite été touchés ». En tout, 10 personnes sont mortes selon le Hachd.
« Soleimani aurait dû être tué il y a des années! » a tweeté Donald Trump, en affirmant que le général iranien avait « tué ou grièvement blessé des milliers d’Américains sur une longue période et prévoyait d’en tuer beaucoup d’autres ».
Son secrétaire d’Etat Mike Pompeo a affirmé que Soleimani préparait une « action d’envergure » menaçant des « centaines de vies américaines », après que les Etats-Unis ont appelé leurs ressortissants à quitter l’Irak « immédiatement ».
Il s’agit de « la plus importante opération de ‘décapitation’ jamais menée par les Etats-Unis, plus que celles ayant tué Abou Bakr al-Baghdadi ou Oussama ben Laden », les chefs des groupes jihadistes Etat islamique et Al-Qaïda, a commenté Phillip Smyth, spécialiste américain.
Les bruits de bottes ont été à la mesure du choc en Irak et en Iran, où Soleimani, 62 ans, était perçu comme intouchable.
« L’Amérique doit savoir que son attaque criminelle contre le général Soleimani a été sa plus grave erreur (…) Ces criminels subiront une dure vengeance au bon endroit et au bon moment », a averti le Conseil suprême de la sécurité nationale, la plus haute instance sécuritaire d’Iran.
Le guide suprême iranien Ali Khamenei et le président Hassan Rohani ont eux aussi appelé à venger celui qui était considéré comme un adversaire redouté des Etats-Unis.
« L’Iran et les autres nations libres de la région prendront leur revanche sur l’Amérique criminelle », a menacé M. Rohani, alors que les autorités iraniennes ont rapidement annoncé un successeur à Soleimani, Esmaïl Qaani.
Trois jours de deuil ont été décrétés en Iran, où des dizaines de milliers de personnes ont manifesté aux cris de « Mort à l’Amérique ».
Téhéran n’a pas évoqué les détails du rapatriement du corps de Soleimani. Le Hachd a annoncé qu’Al-Mouhandis serait enterré samedi dans la ville sainte de Najaf (sud) après une cérémonie à Bagdad.
Les commandants du Hachd ont appelé leurs combattants à se « tenir prêts ». Il faut, a exhorté Hadi al-Ameri, « serrer les rangs pour bouter les troupes étrangères » hors d’Irak.
Le Parlement irakien doit se réunir dimanche et pourrait dénoncer l’accord irako-américain qui encadre la présence de 5.200 soldats américains sur le sol irakien.
Le turbulent leader chiite irakien Moqtada Sadr a réactivé l’Armée du Mehdi, sa milice dissoute après avoir harcelé l’occupant américain en Irak (2003-2011).
Au Liban, le Hezbollah pro-iranien a promis « un juste châtiment » aux « assassins ».
Et au Yémen, les rebelles Houthis, soutenus par Téhéran, ont appelé à des « représailles rapides ».
L’assaut de l’ambassade américaine à Bagdad, qui a ravivé pour Washington le traumatisme de la prise d’otages à l’ambassade de Téhéran en 1979, a eu lieu deux jours après un bombardement américain meurtrier d’une base d’une faction du Hachd en Irak.
Ce bombardement était en représailles à des attaques à la roquette contre des installations abritant des Américains en Irak, dont l’une, attribuée par Washington aux paramilitaires pro-iraniens, a tué le 27 décembre un sous-traitant américain.
« Les renseignements américains suivaient (Soleimani) depuis des années, mais ils n’ont jamais appuyé sur la détente. Lui le savait mais n’a pas mesuré à quel point ses menaces de créer une autre crise des otages à l’ambassade (de Bagdad) changerait » les choses, a expliqué à l’AFP Ramzy Mardini, de l’Institut of Peace.
En renversant en 2003 Saddam Hussein, les Etats-Unis avaient pris la haute main en Irak mais après leur retrait en 2011 ils ont perdu de leur influence au profit de l’Iran et de ses alliés irakiens.
Le Hachd, désormais intégré aux forces irakiennes, a combattu les jihadistes au côté du pouvoir et de la coalition antijihadistes emmenée par Washington, mais aujourd’hui certaines de ses factions sont considérées par les Américains comme une importante menace.
A moins d’un an de la présidentielle américaine et alors que le Congrès n’a pas été notifié en amont du raid selon un élu, les avis divergent à Washington : la plupart des ténors républicains ont fait bloc derrière M. Trump mais les démocrates ont exprimé leurs craintes.
La communauté internationale, elle, a exprimé sa vive inquiétude.
Pour Moscou, l’assassinat de Soleimani risque de « sérieusement aggraver la situation » au Proche-Orient. Paris a dit vouloir « éviter une nouvelle escalade dangereuse ». Pékin et Londres ont appelé à la « désescalade » et l’ONU a estimé que « le monde ne peut se permettre une nouvelle guerre dans le Golfe ».
Les cours du pétrole ont bondi, les marchés craignant une confrontation entre les Etats-Unis et l’Iran.