L’Ethiopie, en manque d’électricité, défend son barrage sur le Nil

Des batteries de téléphone qui s’éteignent constamment, des hôpitaux privés d’équipements modernes, le recours forcé aux lampes de poche à la nuit tombée : Kafule Yigzaw a connu tous les inconvénients de la vie sans électricité en grandissant dans la campagne éthiopienne.

Alors, il y a cinq ans, il a saisi la chance de travailler sur un projet destiné à électrifier le pays et la Corne de l’Afrique. Long de 1,8 km et haut de 145 m, le Grand barrage de la renaissance (GERD) doit devenir le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique.

« Notre pays a un énorme problème avec l’électricité », explique à l’AFP Kafule, 22 ans, en cessant quelques instants son travail qui consiste à renforcer des tuyaux d’acier destinés à transporter l’eau du Nil bleu vers l’une des 13 turbines du barrage.

« Il s’agit de l’existence même de notre nation et, à mon avis, cela nous aidera à nous libérer de la servitude de la pauvreté », envisage-t-il.

Le barrage devrait commencer à produire de l’électricité d’ici fin 2020 et être complètement opérationnel d’ici à 2022.

Dans toute l’Éthiopie, les paysans pauvres comme les hommes d’affaires fortunés attendent avec impatience qu’il commence à fournir les 6.000 mégawatts prévus.

Des milliers d’ouvriers travaillent d’arrache-pied, jour et nuit, pour parachever le projet. Dans le même temps, de dures négociations opposent l’Éthiopie à ses voisins en aval, en particulier l’Égypte, inquiète pour ses ressources en eau.

La prochaine rencontre tripartite, avec également le Soudan, aura lieu les 9 et 10 janvier à Addis Abeba. Le Caire craint que la construction du barrage n’affecte des millions d’Égyptiens qui pourraient manquer d’eau et avoir du mal à se nourrir.

Les Éthiopiens œuvrant sur le site du barrage ne cachent pas une certaine irritation à l’idée que l’Éthiopie devrait montrer plus de considération envers ses voisins.

« Quand on met en œuvre des projets ici, ce n’est pas pour nuire aux pays en aval », affirme le directeur adjoint du projet, Ephrem Woldekidan. « Il n’y a aucune raison que ces pays s’en plaignent, car c’est aussi notre ressource ».

Le Nil Bleu, qui prend sa source en Ethiopie, rejoint le Nil Blanc à Khartoum pour former le Nil, qui traverse le Soudan et l’Égypte avant de se jeter dans la Méditerranée.

Le Nil fournit 97% des besoins en eau de l’Égypte et ses rives abritent 95% des quelque 100 millions d’habitants du pays, selon les Nations unies.

Le Caire estime avoir des « droits historiques » sur le fleuve, garantis par les traités de 1929 et 1959. Depuis que l’Éthiopie a lancé ce projet en 2011, les tensions sont élevées dans le bassin du Nil.

Le groupe de réflexion International Crisis Group (ICG) a prévenu en mars que ces pays pourraient « être poussés à la guerre », car l’Égypte voit une « menace existentielle » dans tout ce qui menace son approvisionnement en eau.

En octobre, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, juste après avoir obtenu le prix Nobel de la paix 2019, avait assuré qu' »aucune force » ne pouvait empêcher la construction du barrage, et averti que des « millions » de personnes pouvaient être mobilisées pour le défendre si besoin était.

Neuf années de négociations entre l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan n’ont jusque-là abouti à aucun accord. Mais lors d’une réunion à Washington en novembre, ils se sont donné jusqu’au 15 janvier pour aboutir.

Le premier problème est le remplissage du réservoir, qui peut contenir 74 milliards de m3 d’eau. L’Égypte craint que si ce remplissage s’effectue trop rapidement, cela n’entraîne une réduction du débit du Nil.

Lors de la précédente rencontre, en décembre à Khartoum, le ministre soudanais de l’Irrigation, Yasser Abbas, a fait état de « progrès » dans les discussions, même s’il subsiste des « points de dispute ».

Kevin Wheeler, un ingénieur à l’université d’Oxford qui a étudié le GERD, estime qu’un accord sur le remplissage du réservoir est possible d’ici le 15 janvier, mais que d’autres complications apparaîtront ensuite.

« Les opérations coordonnées entre les réservoirs le long du Nil sont susceptibles d’être un sujet de discussion continu, qui pourrait durer pour les années, les décennies et les siècles à venir », dit-il.

L’Éthiopie entend généraliser l’accès à l’électricité d’ici 2025. Actuellement, la moitié de sa population de 110 millions d’habitants vit sans électricité.

Même dans la capitale, les coupures sont courantes. Elles ont duré des semaines lors de la plus récente période de rationnement en électricité, en mai et juin 2019.

Dawit Moges, chef d’un laboratoire médical, explique que ces coupures ont augmenté sa facture pour son générateur et entraîné des retards pour les résultats d’examens sanguins.

A ses yeux, le barrage est le seul moyen de garantir une production électrique stable. « Je veux qu’il soit fini le plus tôt possible et commence à produire », lâche-t-il.

Cet avis est partagé par Harsh Kothari, patron du groupe Mohan, qui dispose de cinq usines produisant un peu de tout, des chaussures aux câbles électriques en passant par du fil barbelé.

Un approvisionnement régulier en électricité rendrait son entreprise « beaucoup plus compétitive » et lui permettrait de se développer.

Sur le barrage, ce genre de discours est exactement ce qui motive Workey Tadele, un opérateur radio, à travailler chaque jour. « Nous travaillons ici pour le bien du pays », confie-t-il. « Si nous avons de l’électricité, alors nous aurons un meilleur avenir. »

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