En Pologne, depuis la mainmise du parti Droit et Justice sur le gouvernement et le Parlement dès 2015, renforcée par la majorité absolue obtenue aux élections législatives d’octobre dernier, le contrôle des musées, institutions culturelles et lieux de mémoire semble être devenu un enjeu politique majeur.
Non seulement le gouvernement ultraconservateur cherche à maîtriser la narration de l’histoire polonaise, mais il s’intéresse aussi à l’art contemporain.
Dans la capitale, Varsovie, le lieu dédié à la création des arts plastiques, le château d’Ujazdow (Ujazdowski Castle Center for Contemporary Art, CCA), accueille depuis le 1er janvier un nouveau directeur, Piotr Bernatowicz. À en croire le site Artforum, sa nomination, qui remonte au mois de novembre, aurait suivi une procédure particulière : « Le ministère de la Culture a court-circuité le processus habituel d’appel à projet, et a prolongé la durée de mandat du poste, désormais de sept années. »
Ce que les milieux artistiques reprochent au nouveau directeur du CCA, c’est d’abord sa proximité idéologique du avec les conservateurs. « En tant que journaliste et directeur d’institutions publiques, Piotr Bernatowicz a légitimé à plusieurs reprises des déclarations portant un discours de haine. Dans la sphère publique, il n’y a pas de place pour des affiches insultant des groupes sociaux ou des œuvres antifemmes ou des chansons pleines de stéréotypes antisémites », souligne une pétition lancée à son encontre et signée notamment par l’autrice Olga Tokarczuk, récemment lauréate du prix Nobel de littérature, par le réalisateur Paweł Pawlikowski ou encore le metteur en scène Krzysztof Warlikowski.
Une enquête du New York Times parue le 8 janvier brosse le portrait de ce nouveau directeur, adoubé par le ministre de la Culture, Piotr Glinski. Piotr Bernatowicz s’oppose à ce que les artistes doivent nécessairement exposer des œuvres « sur le changement climatique et le fascisme, ou pour la promotion des droits homosexuels ». « Les artistes qui n’adoptent pas cette idéologie sont marginalisés », regrette-t-il dans le quotidien new-yorkais.
« Je n’ai pas l’intention de transformer ce centre en ghetto idéologique pour des idées et des artistes conservateurs », cherche cependant à rassurer Piotr Bernatowicz. « Je trouve que la plupart des galeries d’art contemporain se présentent comme des ghettos de gauche. C’est ça que je veux changer. »
Pourtant, Piotr Bernatowicz n’a pas toujours été perçu comme le cheval de Troie d’un gouvernement campé sur des positions très conservatrices, patriotiques et anti-avortement. D’après le journaliste du New York Times, qui a rencontré l’artiste Radziszewski actuellement exposé au château d’Ujazdow, Piotr Bernatowicz était considéré autrefois comme un membre typique de la scène artistique : « Nous étions amis, il a même figuré dans mes films, précise-t-il, et il est devenu fou. »
Piotr Bernatowicz raconte au quotidien américain avoir été marqué par l’accident d’avion dans lequel une partie de la classe politique polonaise a péri, en 2010. Il dit aussi être hostile à l’ingérence russe en Pologne. Enfin, il livre sa vision artistique : selon lui, les « mouvements identitaires extrêmes » ont envahi le monde de l’art et l’argument du « discours de haine » formulé pour qualifier des prises de position homophobes ou sexistes est selon lui une forme de censure qui lui rappelle le régime communiste.
La pétition en ligne souligne le manque de compétences de Piotr Bernatowicz pour mener des projets internationaux. Les pétitionnaires se font aussi l’écho des conflits « avec l’équipe » lors d’un précédent mandat de Piotr Bernatowicz à la tête de la City Gallery Arsenał à Poznań, et estiment qu’il s’était aliéné la communauté artistique locale.
Les réticences du milieu artistique envers cette nomination à la tête du plus important centre d’art contemporain polonais, qui a accueilli par le passé des œuvres de Barbara Kruger, Nan Goldin ou Kara Walker, viennent alimenter une défiance déjà nourrie par plusieurs entrechocs entre le gouvernement et les institutions culturelles de Pologne.
Voilà plus de six mois que le ministre de la Culture, Piotr Glinski, refuse de renouveler le mandat de l’historien Dariusz Stola à la tête du Musée de l’histoire des juifs polonais – le musée « Polin » – à Varsovie. Plus tôt, le gouvernement avait rendu légalement répréhensible le fait d’associer l’État polonais aux horreurs de la Shoah, semant le malaise dans la communauté d’historiens. Le clivage entre deux Pologne, l’une conservatrice et pro-Droit et Justice, l’autre progressiste et soutenant les droits des migrants et des minorités de genre, se creuse encore davantage.