Les partisans du puissant leader chiite Moqtada Sadr se préparent à défiler vendredi à Bagdad pour demander l’expulsion des troupes américaines d’Irak, faisant craindre aux manifestants antigouvernementaux d’être éclipsés.
Après l’appel du turbulent leader à « une manifestation pacifique d’un million de personnes contre la présence américaine », des checkpoints ont été érigés à Bagdad pour sécuriser la marche. A Kerbala, plus au sud, ses fidèles ont pris des bus pour se rendre dans la capitale irakienne.
Plusieurs factions paramilitaires irakiennes comme celles pro-iraniennes du Hachd al-Chaabi, habituellement rivales de M. Sadr, doivent y participer.
Après avoir perdu un peu de son élan face à la montée des tensions entre Téhéran et Washington, ennemis jurés mais puissances agissantes en Irak, le mouvement de contestation a repris de plus belle ces derniers jours mais craint d’être détrôné par la marche de vendredi.
« Sadr ne nous représente pas », a affirmé avec un air de défi un adolescent sur une artère de la capitale bloquée par des manifestants antigouvernementaux qui réclament des élections anticipées, un Premier ministre indépendant et la fin de la corruption.
Le mouvement de contestation déclenché le 1er octobre a été relégué au second plan après l’assassinat par les Etats-Unis le 3 janvier à Bagdad du général Qassem Soleimani, émissaire de Téhéran en Irak, et d’Abou Mehdi al-Mouhandis, son lieutenant irakien et numéro deux du Hachd al-Chaabi.
Deux jours plus tard, le Parlement irakien a voté en faveur du départ des troupes étrangères, dont 5 200 militaires américains déployés pour aider les Irakiens dans la lutte antijihadiste.
De nombreux manifestants avaient exprimé leurs craintes que la marche des pro-Sadr n’ait lieu près de la place Tahrir, poumon de leur contestation.
Mais le porte-parole du leader chiite, Saleh al-Obeidy, a déclaré qu’ils avaient choisi le quartier de Jadriyah, près de l’Université de Bagdad.
Opposant de longue date à la présence américaine en Irak, Moqtada Sadr, après la mort du général Soleimani, a réactivé sa milice « l’Armée du Mehdi », qui avait combattu les soldats américains durant l’occupation de l’Irak entre 2003 et 2011.
Autoproclamé « réformiste » après avoir apporté son soutien au mouvement de contestation, il dirige aussi le plus gros bloc au Parlement et plusieurs de ses alliés occupent des postes ministérielles.
La marche de vendredi est « politisée », a dénoncé Mariam, une manifestante antipouvoir. « Nous manifestons au nom du peuple. Nous sommes libres. Nous ne pouvons pas manifester au nom d’une certaine partie ou secte. »
Les manifestants antipouvoir conspuent eux aussi les Etats-Unis mais aussi l’Iran dont l’influence s’est accrue en Irak.
Et pour ne pas se faire éclipser par la marche de vendredi, ils ont relancé leur mouvement ces derniers jours en bloquant de nombreuses routes à Bagdad et dans le Sud.
Douze manifestants ont été tués lors des heurts cette semaine avec les forces de l’ordre alors que les violences depuis le début de la contestation inédite car spontanée ont fait 460 morts, en majorité des manifestants, depuis le 1er octobre.
Sous la pression de la rue, le Premier ministre irakien Adel Abdel Mahdi a démissionné mais il continue de gérer les affaires courantes, les partis politiques ne parvenant pas à s’entendre sur le nom d’un successeur.
Les nombreux partisans de Moqtada Sadr avaient déjà paralysé le pays en prenant la Zone verte en 2016 pour obtenir des réformes du gouvernement accusé de corruption et d’incompétence.
Pour Harith Hasan, expert au Carnegie Middle East Centre, Moqtada Sadr tente de maintenir « plusieurs identités » en soutenant différentes contestations.
« D’un côté, il tente de se positionner en tant que leader réformiste (…) de l’autre il veut garder son image de leader de la résistance à ‘l’occupation américaine' » pour gagner les faveurs de l’Iran qui souhaite le départ des troupes américaines du Moyen-Orient, explique-t-il.
« Cette marche montrera que Sadr est toujours capable de mobiliser les foules » et elle lui donnera selon l’expert plus de légitimité, si d’autres groupes s’y joignent, pour peser sur le choix du futur Premier ministre.