« J’ai fêté mes sept ans dans le camp de Bergen-Belsen avec un morceau de pain et des bâtons de bois en guise de bougies », raconte Lola Angel, 83 ans, une des rares personnes en Grèce à pouvoir encore témoigner de l’horreur des camps de la mort.
« Je n’avais que trois ans quand j’ai dû me cacher (pour éviter la déportation) mais je me souviens de cette peur continue d’être démasquée par les Nazis », confie à l’AFP sa compatriote Nina Camhi, 80 ans.
En Grèce, où la population juive a été décimée dans les camps, Nina et Lola sortent du silence 75 ans après la libération d’Auschwitz.
Elles avaient peu osé prendre la parole jusqu’à présent, n’étant que des enfants à l’époque. Mais elles estiment « devoir désormais transmettre leur histoire aux jeunes générations ».
En Grèce, peu sont revenus des camps de la mort, exterminés ou expatriés à la fin de la guerre.
Environ 58 600 Juifs grecs ont été exterminés, soit « 83 % de la population juive, un des taux les plus élevés en Europe », explique Odette Varon-Vassard, auteure du livre « Des Séfarades aux Juifs grecs. Histoire, mémoire et identité ».
Seuls « 10 à 12 000 Juifs ont été sauvés en Grèce ». Mais « la moitié a quitté le pays dans les années suivant la guerre vers le nouvel Etat d’Israël et les Etats-Unis entre autres, en raison notamment de la guerre civile grecque (1946 – 1949), des difficiles conditions du retour et de l’attrait qu’exerçait Israël », précise l’historienne.
Un exil qui a compliqué le travail de mémoire en Grèce.
« Je n’étais qu’une enfant mais je n’ai rien oublié, encore maintenant les souvenirs me hantent, les odeurs intenses du camp me sont restées », confie Lola aux yeux bleus embués.
En janvier 1941, sa famille a quitté Thessalonique, connue alors pour être la Jérusalem des Balkans, pour s’installer à Athènes.
« Puis, un jour, les Allemands ont débarqué dans notre petit appartement du centre d’Athènes », se remémore Lola.
En avril 1944, la fillette et ses parents embarquent dans un train bondé vers une destination inconnue: « Nous étions les uns sur les autres, nous avions du mal à respirer, beaucoup sont morts pendant le trajet ».
« A Bergen-Belsen, ce n’était pas la mort dans les chambres à gaz mais une mort lente par la maladie. (…) Après le débarquement en Normandie, les Nazis y transportaient tout le monde en espérant qu’ils meurent du typhus », commente Lola, dans son appartement athénien tapissé de photos de survivants et de disparus.
Elle a tenu le coup grâce à ses distractions d’enfant: « J’ai gardé ma poupée jusqu’à mon retour en Grèce et ma mère, tous les matins, m’attachait mon noeud dans les cheveux ».
Nina n’avait que 3 ans quand elle s’échappe de Thessalonique avec ses parents et son frère, à pied et à dos d’âne. Pour échapper aux premiers convois pour Auschwitz qui partent de cette ville du nord de la Grèce à partir du 15 mars 1943.
« Cela tient du miracle que nous ayons pu être sauvés mais, surtout, à l’action de personnes qui ont pris des risques pour nous cacher », confie-t-elle.
Un fournisseur d’huile d’olive de son père, producteur de savon, propose de les emmener sur son île de Skopelos.
« En pleine nuit, un bateau de pêcheurs est venu nous chercher et nous avons navigué jusqu’au village de Glossa à Skopelos », où la famille est restée cachée.
Mais toute la lignée maternelle de Nina a péri à Auschwitz: « Ma mère avait conservé leurs derniers échanges épistolaires juste avant qu’ils ne soient déportés. Je les ai retrouvés dans une malle à sa mort. Après la guerre, elle s’était murée dans un silence de douleur ».
A la libération du camp de Bergen-Belsen en avril 1945, Lola est transportée en train vers le nord de l’Allemagne, dans une ultime tentative des nazis d’exterminer les derniers survivants du camp avant l’arrivée des alliés.
Lola et les autres passagers ont été retrouvés au milieu de nulle part, affamés, par des soldats américains.
Allemagne, Pays-Bas, Belgique, France, Italie, l’enfant et ses parents finissent par débarquer au port du Pirée en septembre 1945. Elle avait oublié le grec, ses parents avaient perdu leurs biens: « Nous devions tout recommencer à zéro ».
Elle ne s’est jamais vraiment remise. « Encore maintenant, j’ai des cauchemars et des phobies. Je ne monte que très difficilement dans un train ».
Pour Nina et les siens, retourner à Thessalonique en 1945 a été synonyme de douleur: « A chaque coin de rue, nous revoyions les fantômes des familles juives disparues ».