Sur un vaste champ à Gadheim, humble village de Bavière, trois drapeaux, un rocher et une table de pique-nique marquent le point qui, après le Brexit, deviendra le centre géographique de l’Union européenne.

Chez les quelques dizaines d’habitants du bourg, les sentiments sont mitigés, entre timide fierté locale et regret de voir partir un Etat membre, raconte Karin Kessler, propriétaire des terres.

Que le hasard géographique soit tombé sur Gadheim lui semblait relever du poisson d’avril en 2017, neuf mois après le référendum où le Royaume-Uni a voté pour sa sortie de l’UE, se souvient-elle.

Le calcul de l’Institut Français de l’information géographique et forestière (IGN), reposant sur un « modèle gravitationnel », est pourtant très sérieux: neuf degrés, 54 minutes, sept secondes Est et 49 degrés, 50 minutes et 37 secondes Nord – soit à quelques centaines de mètres de la poignée de maisons qu’est Gadheim dans cette région viticole du sud de l’Allemagne.

« Mon fils a trouvé les coordonnées et m’a envoyé une photo sur Whatsapp », raconte Mme Kessler, coiffée d’un bonnet et emmitouflée dans une épaisse écharpe de laine pour braver le froid bavarois.

« Je zoome et je lui réponds: ‘Ah mais c’est chez notre voisin !+ Et il me répond +Mais non, c’est chez nous sur le champ!' », s’exclame-t-elle.

Depuis, la municipalité et l’école bavaroise de l’aménagement paysager ont créé un jardinet autour du désormais fameux point, même si l’incertitude sur la date du Brexit a duré des mois.

« Parfois je me suis demandé si les Britanniques n’avaient pas autre chose à faire que le Brexit », confie Mme Kessler. « Et tant de gens ont manifesté pour rester (dans l’UE, ndlr) que l’issue était réellement ouverte ».

Le sujet a aussi réveillé les craintes de certains habitants: son père, décédé l’an dernier et qui avait combattu pendant la Seconde guerre mondiale, voyait en l’Union une garantie de paix et de stabilité.

« Je pense que beaucoup de gens, surtout ceux qui ont connu la guerre, peuvent s’identifier à ça », affirme Karin Kessler à quelques pas du mât rouge et blanc fiché dans un rocher qui matérialise le nouveau centre de l’UE.

Légèrement incliné, il pointe dans la direction de Westerngrund, autre village à quelque 60 kilomètres de là, ex-coeur de l’Union détrôné par Gadheim.

Pour la maire Brigitte Heim, observer la tergiversation britannique pendant des mois était « angoissant », mais les habitants ont toujours considéré leur notoriété géographique comme « un cadeau pour une période limitée ».

Et peut-être que « si les Ecossais arrivent à se libérer, le centre pourrait revenir », plaisante-t-elle.

Dans cette zone viticole, certains « ont espéré que le Brexit n’ait pas lieu pour préserver l’Europe telle que nous la connaissons », explique Jürgen Götz, maire de Veitshöchheim, une commune proche de Gadheim, trop petit pour avoir un maire dédié.

Mais la région se réjouit de célébrer ses liens avec le reste du continent, Veitschöchheim ayant des villes partenaires en Italie, en France et en République Tchèque, tout en étant sur la route d’un important gazoduc européen et d’un des chemins vers Saint-Jacques-de-Compostelle.

Pour l’avenir, « personne ne sait quels effets le Brexit aura pour le Royaume-Uni et le reste de l’Europe », estime M. Götz. « Tout dépendra si le Royaume-Uni réussit à profiter de cette sortie, ce qui pourrait encourager d’autres pays à l’imiter. »

Une chose est certaine: le coeur de l’UE n’est que de passage à Gadheim, qui perdra probablement son statut un jour. « J’espère que ce sera parce qu’un nouveau pays a rejoint l’UE, et non pour un départ », veut croire le maire.

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