Ils ont atteint la production prévue, non sans difficultés : les fabricants du Havana Club, le plus célèbre rhum cubain, doivent surmonter une course d’obstacles alors que l’administration de Donald Trump ne cesse de renforcer ses sanctions contre l’île.
Dans la moderne distillerie et usine d’embouteillage de San José, à 30 km de La Havane, le directeur du développement de Havana Club, Sergio Valdés, est fier d’annoncer que le groupe, co-entreprise entre le Français Pernod-Ricard, numéro deux mondial des spiritueux, et l’entreprise d’Etat Cuba Ron SA, a fabriqué 4,7 millions de caisses (de neuf litres chacune) sur l’année fiscale 2018-19, un volume quasi-stable (+1%).
Pourtant, tout n’a pas été si simple. Certes, « le liquide Havana Club est 100% cubain », mais « les caisses, les bouteilles, les étiquettes, les bouchons, nous devons les importer et ce sont ces importations qui peuvent parfois se compliquer », précise-t-il.
Il s’agit par exemple d' »un fournisseur historique qui nous dit qu’il ne peut plus continuer à nous vendre ou un autre qui nous dit qu’il a des problèmes avec sa banque », le secteur bancaire étant devenu plus frileux que jamais vis-à-vis de l’île.
Derrière ce contexte adverse, la pluie de sanctions de Washington, qui accuse La Havane de soutenir militairement le gouvernement de Nicolas Maduro au Venezuela, ce que nie Cuba.
L’embargo américain, en vigueur depuis 1962, complique déjà la vie du rhum cubain : « Etre exclus de 40% du marché mondial (ce que représentent les Etats-Unis en consommation de rhum premium – réd.), c’est un impact indéniable sur la marque », souligne Sergio Valdés.
Mais l’horizon s’est encore assombri. Le Musée du rhum est désormais quasi-désert, a constaté un journaliste de l’AFP. Situé à 150 mètres du terminal de bateaux de croisière, il souffre depuis que les paquebots américains ont interdiction d’y faire escale.
L’administration Trump a par ailleurs activé le titre III de la loi Helms-Burton, qui veut décourager les investissements étrangers à Cuba en permettant les actions en justice autour des biens nationalisés après la révolution socialiste de 1959.
Cela n’a fait que raviver la bataille judiciaire, initiée il y a plus de 20 ans, sur la propriété de la marque Havana Club, entre Cuba et le géant américain Bacardi, qui l’a déposée aux Etats-Unis, où il commercialise un rhum portoricain.
Le rhum est un produit d’exportation phare pour Cuba, qui en a expédié 397.642 hectolitres en 2018 dans 126 pays, principalement en Europe, pour 136 millions de dollars. La chute est de 40% en volume, mais seulement de 9% en valeur car le secteur mise sur des produits plus élaborés et donc plus chers.
« Les effets (des sanctions) sont nombreux, mais ce qui est important c’est qu’Havana Club, jusqu’à présent, a eu la sagesse (…) de compenser les possibles impacts négatifs de ces mesures », assure Sergio Valdés, « parfois en payant un peu plus cher, en prenant plus de temps ou en exigeant une meilleure planification… ».
Inaugurée en 2007 pour un budget de 66 millions de dollars, l’usine d’embouteillage de San José est chargée de préparer les rhums bruns, par opposition aux rhums blancs fabriqués dans l’usine traditionnelle de Santa Cruz, à l’est de La Havane.
La mélasse – résidu de la cristallisation du sucre de canne – y est distillée avec des technologies modernes pour en tirer une eau-de-vie aromatique contenant plus de 70% d’alcool : c’est « l’âme, le coeur du rhum », raconte avec passion le maître rhumier Asbel Morales.
Quand savoir si cette eau-de-vie est prête ? « Nous avons les équipements les plus modernes possibles », mais le processus « repose avant tout sur les sensations », confie-t-il.
Pour le prouver, il prend un échantillon, le verse sur ses mains et le frotte. Si le liquide prend une consistance huileuse, cela veut dire qu’il est prêt. Une fois évaporé, le maître rhumier en vérifie l’arôme en humant ses mains.
« C’est une technique très traditionnelle, très simple et qui permet de révéler la vérité, la qualité d’une eau-de-vie ».
Cette dernière ira ensuite reposer plusieurs années dans des fûts de chêne blanc américain, autrefois utilisés pour fabriquer du whisky. C’est là qu’elle y prendra sa teinte foncée, ses saveurs fruitées, sous l’effet des hautes températures et de l’humidité typiquement cubaines.