« Nous sommes le nouveau visage des sans-abri »: comme Dominique Walker, plusieurs mères de famille d’Oakland, en Californie, ont été contraintes de réquisitionner une maison pour se loger et attirer l’attention sur le sort de milliers de SDF.
Prises entre hausse des loyers et spéculation immobilière, dans une région en proie à la gentrification, elles allaient se retrouver à la rue avec leurs enfants.
Lorsque Mme Walker, victime de violences conjugales, est revenue s’installer dans sa Californie natale avec deux jeunes enfants, elle souhaitait juste passer un diplôme d’infirmière et mener une vie paisible. Elle est soudainement devenue un symbole de la crise des sans-abri qui se répand depuis plusieurs années dans cet Etat de l’ouest américain, à lui seul plus riche que la France.
Arrivée en avril dernier à Oakland, banlieue noire de San Francisco, la métropole la plus chère des Etats-Unis, la jeune femme a d’abord été hébergée par de la famille, puis a logé dans des hôtels pendant qu’elle cherchait un appartement.
Elle s’est très vite rendue compte que l’explosion des loyers dans la région lui rendait la tâche impossible. « Pour avoir un logement avec deux chambres, il faut gagner 40,88 dollars de l’heure et le salaire minimum est de 14,14 dollars », souligne-t-elle.
« Il y a des programmes d’aide mais rien n’a marché », explique Mme Walker, 34 ans, désormais employée à plein temps par une association de défense des droits des locataires.
Démunies, la jeune femme et plusieurs autres mamans promises au même sort ont forcé la porte d’une vaste demeure inoccupée d’Oakland en novembre dernier, pour avoir un toit sur la tête et tirer la sonnette d’alarme.
Leur audace a fini par payer. Le groupe a certes été expulsé de la maison le mois dernier mais leur coup de force, très inhabituel aux Etats-Unis, a suscité un vif intérêt dans tout le pays.
Parallèlement, la société immobilière propriétaire de la maison, Wedgewood, a accepté de la vendre à une association proposant des logements à loyers abordables.
« L’attention que notre mouvement a recueillie est indescriptible », assure à l’AFP Misty Cross, 39 ans, l’une des mères de familles ayant occupé cette maison, qui vit désormais dans un centre d’hébergement en attendant mieux. « Nous n’avons vu personne essayer de se battre pour les petites gens, alors nous avons décidé de nous y mettre et de nous faire entendre », dit-elle.
D’après la municipalité d’Oakland, la ville de 425.000 habitants, qui fut longtemps connue pour sa violence, comptait, en 2019, 4.071 SDF, un chiffre en hausse de 47% en seulement deux ans.
Sans compter ceux qui passent d’une chambre d’hôtel à un logement précaire sur le canapé d’un ami.
« Depuis quelques années, le nombre de SDF à Oakland progresse plus rapidement que jamais », reconnaît la présidente du conseil municipal, Rebecca Kaplan, qui a travaillé avec le mouvement des mères pour tenter d’enrayer le phénomène.
Pour Mme Kaplan, l’explosion des loyers et la spéculation immobilière, attisées par la proximité de la Silicon Valley et de ses salaires à six chiffres, sont les principales responsables. Au cours des derniers mois, la société Wedgewood a ainsi affirmé à l’AFP avoir acheté pas moins d’une cinquantaine de maisons à Oakland.
« Nous avons atteint un point critique ces deux dernières années », estime Carroll Fife, responsable régionale pour l’association qui emploie Dominique Walker. Pour elle, il est inévitable que d’autres bâtiments seront occupés prochainement si les autorités locales et fédérales ne prennent pas des mesures d’urgence pour reconnaître le logement comme un « droit humain ».
« S’ils voulaient vraiment, ça pourrait s’arrêter dès aujourd’hui », se désole-t-elle en montrant à l’AFP les campements de SDF qui parsèment la ville.
« Vous ne comprendrez pas la crise des sans-abri tant que vous penserez que ça ne touche que les toxicomanes ou les malades mentaux. Je suis simplement une maman qui cherche à élever ses enfants », insiste Dominique Walker, qui a enfin trouvé un logement à Berkeley, une ville voisine connue pour sa célèbre université.
« J’incite tout le monde à se joindre au mouvement parce que nous tous – enseignants, infirmières, travailleurs – sommes bien plus près d’être SDF que de devenir millionnaires ».