Sourdes aux avis de différents représentants du Conseil de l’Europe, qui les avaient appelées à ne pas agir dans la précipitation, les autorités arméniennes persistent et signent dans leur volonté de régler la « crise constitutionnelle » en cours par un référendum visant à changer la composition de la plus haute Cour du pays.
Le président arménien Armen Sarkissian a ainsi validé la décision du Parlement, pourtant vivement critiquée par les deux partis d’opposition, relative à la tenue de ce referendum sur les changements constitutionnels qui permettront de révoquer sept des neuf membres de la Cour constitutionnelle qui avaient été nommés sous le précédent régime et qui étaient au cœur d’une crise grave opposant la plus haute Cour du pays au premier ministre Nikol Pashinyan, qui n’avait pu obtenir leur départ « à l’amiable », sous la forme d’une retraite anticipée et rémunérée proposée par le Parlement sous son contrôle quelques semaines plus tôt. Ce texte, qui avait été aussi critiqué par l’opposition, accordait jusqu’à la fin février au président de la Cour Hrayr Tovmasian, et aux 6 autres membres controversés, pour qu’ils acceptent de démissionner en échange du maintien de leurs traitements et privilèges jusqu’à la fin légale de leurs mandats. Ils avaient tous refusé cet arrangement jugé indigne.
Dans un décret signé ce weekend, A.Sarkissian a fixé le referendum à la datre du 5 avril, sur fond d’une tension accrue entre l’alliance Im Kayl (Mon Pas) qui contrôle le Parlement et les représentants de l’opposition parlementaire et non parlementaire, qui contestent la légalité des amendements préparés par la majorité parlementaire pro-Pachinian qui vont être soumis au vote des citoyens. En vertu des amendements proposés, Hrayr Tovmasian et les six autres membres nommés sous les pouvoirs précédents seront remplacés par d’autres juges qui seront adoubés par l’actuelle majorité parlementaire, autrement dit l’alliance Im Kayl qui dispose d’une très large majorité au Parlement depuis les législatives de décembre 2018. N.Pachinian les a ouvertement accusés d’avoir conservé des liens étroits avec “l’ancien régime corrompu”, et l’a répété alors que l’Assemblée nationale votait en faveur de la tenue du referendum lors de sa séance du 6 février. H.Tovmasian est soumis à forte pression de l’exécutif, qui s’emploie à le pousser à la démission depuis des mois. Il a refusé avec ténacité de céder à ces pressions, qui s’inscrivent selon lui dans le cadre des efforts du gouvernement en vue de prendre le contrôle de la plus haute cour du pays et au-delà, de tout l’appareil judiciaire. Dans sa fronde, H.Tovmasian a le soutien du Parti républicain d’Arménie (HHK) anciennement au pouvoir, ainsi que d’autres détracteurs des autorités actuelles, mais aussi de personnalités plus objectives, au sein de l’opposition parlementaire comme parmi des groupes civiques qui, sans soutenir directement les juges réfractaires, redoutent les effets délétères de cette crise sur l’indépendance de la justice arménienne. Le Parti d’opposition Arménie lumineuse qui, pour avoir été l’allié de Pachinian jusqu’en 2018, ne peut être suspect de liens avec l’ancien pouvoir, s’est ainsi opposé à ce référendum, alors que l’autre parti d’opposition, Arménie prospère (BHK), n’a pas pris part au vote d’un texte qui est par ailleurs vivement critiqué par certains juristes constitutionnalistes ou défenseurs des droits de l’homme. Edmon Marukian, le leader d’Arménie lumineuse (LHK), a ainsi souligné que les changements radicaux visés par N.Pachinian étaient inconstitutionnels et avaient été votés au prix de graves violations de procédures. E.Marukian a ajouté que le président A. Sarkissian aurait dû de ce fait envoyé les projets d’amendements pour examen à la Cour constitutionnelle, une option pourtant inenvisageable pour le pouvoir en place qui ne reconnaît pas la légitimité de cette instance. Le LHK, comme le BHK, ont invoqué une loi arménienne sur les referendums en vertu de laquelle l’aval de la Cour est indispensable pour tout changement constitutionnel. Vladimir Karapetian, un député en vue proche du gouvernement, a fait valoir, a contrario, que les sept membres de la cour concernés par cette procédure ne pouvaient prendre de décision “objective” sur la question dans la mesure où c’est leur avenir même qui est en jeu. Dans une “clarification” écrite publiée aussitôt après la signature du décret controversé, le cabinet d’A.Sarkissian a fait savoir que le referendum aurait été convoqué quand bien même le président auraiot refusé de valider la décision du Parlement, en faisant valoir un article afférent de la Constitution arménienne. “Il convient de souligner que le président de la République, en fixant une date pour la tenue du referendum, n’exprime ni son attitude ni sa position quant à l’essence des amendements constitutionnels adoptés par l’Assemblée nationale … ou les procédures mises en œuvre pour prendre cette décision”, indique le texte du communiqué. Naira Zohrabian, une responsable du BHK, n’a pas retenu cette explication lundi 10 février, accusant A. Sarkissian de chercher à esquiver les responsibalités dans la révocation planifiée des juges de la Cour constitutionnelle. La députée de l’opposition a ajouté que le président, dont les pouvoirs sont essentiellement protocolaires, a de fait pris le parti de N. Pachinian. “Si vous signez [la décision du Parlement] cela signifie que vous acceptez pleinement la légitimité de ce processus”, a déclaré N.Zohrabian aux journalistes du service arménien de RFE/RL. Le BHK et le LHK pourraient donner plus de force encore à leurs positions de rejet en empêchant la tenue du referendum, comme ils en ont la possibilité, si toutefois leurs députés en appellent à la Cour constitutionnelle et la persuadent de déclarer inconstitutionnels les projets d’amendements. En vertu de la Constitution, de tels appels, pour être suivis d’effets, doivent être signés par au moins 27 des 132 membres du Parlement. Le BHK et le LHK détiennent respectivement 26 et 17 sièges du Parlement et sont donc en mesure d’engager une telle procédure. Le LHK a d’ores et déjà fait part de sa disposition à contester les amendements constitutionnels proposés devant la Cour, quant au BHK, toujours prudent, comme à son habitude, il s’en est tenu à des déclarations plutôt ambiguës à ce sujet. “Nous n’avons pas encore discuté [de la question], aussi je ne pourrai vous dire si Arménie prospère se joindra [à cet appel]”, a déclaré N.Zohrabian, en précisant que la direction du BHK fera savoir sa position “dans les jours à venir”. N.Zohrabian a dans le même temps balayé du revers de la main les suppositions émises par certains selon lesquelles le parti dirigé par l’homme d’affaires Gagik Tsarukian craignait de s’engager dans une attaque frontale contre N. Pachinian, comme il y a quelques années, contre S. Sarkissian. Le premier ministre n’a pas tardé quant à lui à saluer le décret présidentiel sur le referendum. Dans un message video posté sur sa page Facebook, il a aussi appelé les Arméniens résidant à l’étranger à rentrer dans leur pays pour participer au vote du 5 avril, de crainte sans doute que les taux de participation se montrent, comme à chacune des élections depuis la « révolution de velours » étonnamment faibles. Il n’est pas question en effet d’installer des bureaux de vote à l’étranger, la législation arménienne l’interdisant. Pour être adoptés, les amendements doivent être approuvés par la majorité des électeurs participant au referendum, qui pour être validé, doit avoir eu la participation d’au moins un quart des quelque 2,57 millions d’électeurs inscrits, un chiffre sujet à caution alors que la population d’Arménie n’a cessé de décliner ces dernières années, et a perdu quelques milliers d’habitants encore en 2019, où l’Arménie comptait 2,96 millions d’habitants.