Marjane Satrapi : celle qui plonge dans la vie d’une Prix Nobel

Il fait gris ce jour-là sur Paris. Mais au cinquième étage d’un immeuble du XIarrondissement, un peu de lumière rentre dans l’atelier de Marjane Satrapi. Suffisamment pour mettre en valeur l’une de ses grandes toiles, en chantier sur un chevalet.

Elle représente une femme et on reconnaît immédiatement le style de l’auteur de Persepolis. Cette bande dessinée autobiographique qui l’a rendue célèbre date d’il y a déjà vingt ans. Son enfance iranienne est encore plus loin.

Aujourd’hui, son actualité, c’est son nouveau film, Radioactive, qui sort dans dix jours.  Une très belle adaptation de la vie de Marie Curie. Alors, une cigarette, un café… et Marjane Satrapi dévoile sa passion pour cette physicienne et chimiste, première femme à obtenir le prix Nobel en 1911 : « C’est une star mondiale. Peut-être la plus connue, après ou avant Marilyn Monroe… Et pourtant, on ne connaît pas si bien sa vie. »

Une avant-gardiste ? « Oui, mais sans le savoir. Ce qui l’intéresse, c’est la science. Elle fait les choses sans se poser de questions. À La Belle époque, au début du XXe, il y a quand même un vent de liberté. Ce sera plus dur pour sa fille Irène, trente ans plus tard. Certaines choses semblent acquises et il y a souvent des retours en arrière. Regardez le nombre de centres d’avortement qui ferment aux États-Unis ! »

Pour les besoins de Radioactive, et de sa construction dramatique, Marjane Satrapi s’est parfois permis quelques libertés. Comme cette scène de ménage à propos du prix Nobel entre Marie et Pierre, son mari et compagnon de recherche.

Mais le caractère bien trempé de Marie, magnifiquement incarnée par l’Anglaise Rosamund Pike, « ça, ce n’est pas du cinéma ! Elle était complètement concentrée sur son travail. Du coup, elle avait des sentiments mais elle n’était pas sentimentale. Einstein disait que c’était la personne la moins corrompue du monde. Quand ses petits-enfants ont vu le film, ils m’ont remercié de ne pas avoir fait un portrait de « la douce Marie ». Les femmes, on leur demande toujours d’être douces comme de la crème fouettée, épouse et mère parfaite, belle… Elle, ce n’était pas ça. Elle n’était pas non plus arrogante. Elle était juste meilleure que les autres et en avait conscience. Mais les pages qu’elle a écrites après la mort de Pierre m’ont fait pleurer ! »

L’intérêt de son film est aussi de faire le lien entre les recherches de Marie Curie sur la radioactivité et ce qui en a découlé : le traitement du cancer, mais aussi la bombe atomique. « En cela, le discours de Pierre Curie, en 1904, est stupéfiant. Quarante ans avant la bombe, il dit que le radium dans les mains de criminels peut être catastrophique ! La question c’est ce que font les humains avec les découvertes scientifiques. »

Une matière scientifique qui passionne Marjane Satrapi. « Toute ma scolarité, j’étais la matheuse. Ma mère me disait : “Regarde Marie Curie et Simone de Beauvoir”. La science est à l’origine de notre histoire. Les grands singes que nous étions, à un moment, au lieu d’avoir peur de l’orage et des tremblements de terre ont essayé de comprendre le monde dans lequel ils vivaient. Sans la science, il n’y a plus d’êtres humains. »

Faut-il y voir un lien avec le dossier du nucléaire iranien ? « Sérieusement, aucun. Quand j’ai commencé à faire ce film, ce n’était pas d’actualité. » D’ailleurs, l’artiste n’est pas retournée dans son pays natal depuis vingt ans et refuse de l’évoquer. « Je suis attentive à ce qui se passe là-bas. Mais, je suis tellement prise d’émotion et de nostalgie par rapport à l’Iran que c’est le contraire de l’analyse. Mieux vaut donc ne rien dire. »

Elle préfère parler de la France, son deuxième pays. « Les revendications, tout ça, ça montre la vivacité de ce pays. Mais, il faut aussi accepter un peu le changement. Moi, je suis arrivée en France il y a vingt-six ans, et j’ai pu faire des études gratuitement, avoir des soins, des aides pour mon loyer, travailler, payer des impôts… C’est bien aussi parfois de se dire qu’on vit dans un super pays ! Le peuple français est curieux. »

Et Polanski et les César ? « Polanski, ça ne m’intéresse pas. Mais revenons aux maths, s’il y a 10 % de films réalisés par des femmes, elles doivent représenter 10 % des nommés. En même temps, je n’ai pas envie d’être dans un ghetto « films de femmes ». À ma connaissance, je ne filme pas avec mes seins ! »