En poste depuis près d’un an, le préfet de police de Paris Didier Lallement est rapidement devenu le symbole des violences policières contre les manifestants. Aujourd’hui, ses méthodes sont même critiquées au sein des hauts gradés de la gendarmerie et des CRS, dont Mediapart s’est procuré les notes.
«Il n’y a aucun problème Lallement», avait déclaré le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, le 19 février au micro de France Inter. Le préfet de police de Paris, qualifié de «psychopathe» par Jean-Luc Mélenchon et de «Gestapo» par le Gilet jaune Jérôme Rodrigues, ne ferait pas non plus l’unanimité parmi ses subalternes.
En effet, samedi 7 mars, le site Mediapart a dévoilé le contenu de plusieurs notes émises par des hauts responsables de la gendarmerie et des Compagnies républicaines de sécurité (CRS), évoquant clairement des ordres irréguliers et douteux de la part du préfet.
Par exemple, un message de la gendarmerie nationale datant de septembre 2019 faisait état de pratiques «légalement douteuses et aux conséquences politiques potentiellement néfastes» qui sont «contraires à la législation ainsi qu’à la réglementation en vigueur». Il s’agissait d’un commentaire sur l’ordre donné par Didier Lallement d’«impacter» les manifestants, à savoir d’aller au contact.
Les hauts responsables rappellent que de telles directives vont à l’encontre d’un principe du code de sécurité intérieure, selon lequel l’usage de la force ne doit être déployée qu’en absolue nécessité, et proportionnellement au trouble à faire cesser. Le préfet de Paris encourage ainsi les forces de l’ordre à charger dans les foules, et ce même si aucun signe de violence n’est démontré.
La gendarmerie fait également mention de «manœuvres d’encagement», également appelées nasses, ordonnées par la préfecture de police sur des manifestants. Ici, le dispositif vise à encadrer un groupe de personnes, servant historiquement à le protéger et à le conduire d’un endroit à un autre. L’opération doit d’ailleurs, comme le prévoit la législation, laisser une échappatoire.
Sous M.Lallement, le système consiste à parquer des manifestants, qui se retrouvent encerclés sans issue possible, et souvent d’y lâcher des grenades de gaz lacrymogène, précise Mediapart en citant les notes. Cette technique est «de nature à exaspérer la population et à nourrir un sentiment de défiance vis-à-vis du pouvoir et des forces de l’ordre», tout en générant «des mouvements de foule potentiellement dangereux», avait conclu un avis de la gendarmerie.
Le 15 octobre 2019, dans la capitale, un chef de la gendarmerie avait délibérément désobéi aux ordres du préfet, jugeant la procédure d’encagement «contraire au règlement mais surtout au droit de manifester». Les faits s’étaient déroulés sur le pont de la Concorde, rappelle Mediapart, où des manifestants avaient demandé à un escadron de la gendarmerie mobile de «calmement pouvoir quitter les lieux». Ils s’étaient pourtant retrouvés bloqués d’un côté par les gendarmes et de l’autre par la police, qui avait commencé à faire usage de gaz lacrymogènes.
La situation a rapidement dégénéré: la tension est montée, et «certains individus ont commencé à enjamber la rambarde du pont pour contourner le barrage se mettant ainsi en danger au-dessus de la Seine». Le chef d’escadron a finalement décidé d’aller à l’encontre des ordres du préfet. Il a escorté les manifestants jusqu’au métro, d’autant qu’«un dialogue avait été établi» avec eux.
Une des mesures phares de Didier Lallement, dès son entrée en fonction en mars 2019, a été l’usage des brigades de répression de l’action violente motorisées (BRAV-M) lors des manifestations. Un écrit interne d’une unité de CRS critique les méthodes d’intervention de cette brigade, prenant pour exemple le rassemblement du 18 janvier 2020. «Les black blocs ne bronchaient pas. Ça a commencé à dégénérer quand les Brav ont commencé à intervenir […] ils ont chargé gratos», a noté un CRS.
«Les Brav sont souvent des jeunes sortis d’école et ils manquent d’expérience. C’est facile de leur demander d’appliquer des ordres qui sont d’interpeller à tout va sans discernement. Du coup, ils chargent et matraquent souvent sans raison», a expliqué un autre CRS contacté par le site d’information.
En novembre, Didier Lallement avait déjà fait l’objet d’une plainte pour «atteinte à la liberté individuelle» et «complicité de violences volontaires aggravées». Elle avait été déposée par un Gilet jaune lillois, Manuel, éborgné lors de l’acte 53 à Paris. Il s’était retrouvé pris au piège, place d’Italie, dans une nasse ordonnée par le préfet. Une grenade lacrymogène avait touché son œil gauche. Il a par la suite refusé que l’affaire soit gérée par l’IGPN, mais demandé la désignation immédiate d’un juge d’instruction.