Vingt-cinq ans après les faits, l’ex-candidat à la présidentielle 1995 Edouard Balladur devra comparaître devant la Cour de justice de la République (CJR) pour des soupçons de financement occulte de sa campagne, après le rejet de ses derniers recours par la Cour de cassation.
M. Balladur, 90 ans, sera jugé pour « complicité d’abus de bien sociaux » et « recel » de ces délits » dans le volet financier gouvernemental de l’affaire Karachi.
Son ex-ministre de la Défense, François Léotard, doit lui aussi être jugé pour « complicité d’abus de biens sociaux ».
L’affaire Karachi doit son nom à l’attentat du 8 mai 2002 qui avait fait quinze morts, dont onze employés français de la Direction des chantiers navals (ex-DCN) qui travaillaient à la construction d’un des sous-marins Agosta vendus au Pakistan.
L’enquête antiterroriste a exploré depuis 2009 la thèse – non confirmée – des représailles à la décision de Jacques Chirac, tombeur d’Édouard Balladur à la présidentielle 1995, d’arrêter le versement de commissions dans ces contrats après son élection.
En creusant cette hypothèse, les magistrats ont acquis la conviction que les comptes de campagne de M. Balladur, pourtant validés par le Conseil constitutionnel, avaient été en partie financés via un système de rétrocommissions illégales, estimées à plusieurs millions d’euros, sur des ventes de sous-marins au Pakistan (Agosta) et de frégates à l’Arabie Saoudite (Sawari II), lorsqu’il était au gouvernement entre 1993 et 1995.
Plusieurs protagonistes, dont Thierry Gaubert (ex-membre du cabinet du ministre du Budget de l’époque, Nicolas Sarkozy) et Nicolas Bazire, alors directeur de la campagne balladurienne, ainsi que l’intermédiaire controversé Ziad Takieddine, ont été jugés devant le tribunal correctionnel de Paris en octobre pour ces mêmes faits.
Des peines de 18 mois à sept ans de prison ferme y ont été requises. Le jugement sera rendu le 22 avril.
Le cas des deux ministres avait été disjoint en 2014 et confié à la CJR, seule instance habilitée à juger des membres du gouvernement pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions. Contestée, son existence pourrait être remise en cause dans une prochaine réforme constitutionnelle.
Dans l’arrêt du 30 septembre, la Cour de justice de la République avait ordonné un procès pour MM. Balladur et Léotard: elle soupçonne M. Balladur d’avoir pu financer sa campagne électorale de 1995 notamment grâce à des espèces à hauteur de 10.250.000 francs susceptibles de provenir de rétro-commissions sur ces marchés.
Entendu à cinq reprises par les juges d’instruction dans ce dossier, M. Balladur a assuré qu’il n’était « informé de rien sur l’existence de commissions, de rétrocommissions ». « Je n’avais pas les moyens de tout contrôler », a-t-il plaidé.
Lors d’une Assemblée plénière de la Cour de cassation, le 28 février, les avocats de M. Balladur, Mes Patrick Spinosi et François Sureau, ont contesté par quatre moyens ce renvoi en procès devant la formation de jugement de la CJR.
Leurs griefs portaient sur la compétence des juges instructeurs, l’indépendance de la commission d’instruction de la CJR, l’ampleur des charges pesant sur M. Balladur ou encore la question de la prescription des faits.
La Cour de cassation a suivi l’avis du parquet général, qui avait demandé le rejet des pourvois.
« La Cour de cassation s’est prononcée sur des questions procédurales, et on démontrera le mal-fondé de ces accusations devant la CJR » lors du procès, a réagi l’un des avocats de M. Balladur, Me Félix du Belloy, contacté par l’AFP.
Olivier Morice, avocat des familles de victimes de l’attentat de Karachi, a lui qualifié cette décision d' »extrêmement importante ».
« Nous nous en félicitons car nous avons toujours soutenu que les délits reprochés aux différents protagonistes du volet financier de l’affaire de Karachi n’étaient pas prescrits », a-t-il ajouté, confiant en ce que cet arrêt « aura une incidence dans la décision qui sera rendue prochainement par le tribunal correctionnel de Paris à l’encontre de MM. Bazire, Donnedieu de Vabres et Takieddine ».