Sur une colline albanaise, dans une ville flambant neuve créée ex-nihilo, des milliers d’opposants iraniens déterminés dédient toute leur vie au combat contre le régime de Téhéran. Et ils veulent croire que la fin de l’exil est « proche ».
A quelque 3.000 kilomètres de la capitale iranienne, les habitants de la cité Ashraf 3 n’attendent qu’une chose: la chute des autorités au pouvoir en Iran, engagé dans un bras de fer acrimonieux avec Washington, plongé dans une crise économique provoquée par les sanctions, secoué en novembre par une vague de contestation et aujourd’hui frappé par le nouveau coronavirus.
Si un renversement du régime iranien semble une tâche ardue, l’optimisme règne ici. A l’entrée de la cité gardée par des grilles métalliques et des caméras, une imposante réplique de l’Arc de Triomphe parisien proclame ainsi: « La victoire nous appartient! L’avenir nous appartient! ».
En 2013, à la demande de Washington et de l’ONU, l’Albanie accepte d’accueillir sur son sol 200 membres de l’Organisation des moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI), après des bombardements sur leur camp en Irak.
Au fil du temps, leur nombre a augmenté. Aujourd’hui, ils sont 2.800 à Ashraf 3, âgés de 28 à 74 ans, le plus grand regroupement d’exilés de l’OMPI au monde.
La ville nouvelle est sortie de terre en à peine 18 mois non loin de Tirana, sur des milliers de kilomètres carrés de terrains agricoles achetés à des habitants.
C’est tout un monde en miniature: immeubles d’habitation, bureaux, cantine, cuisine collective, salle de sport, cliniques, commerces, bibliothèque, menuiserie, musée où sont présentées des scènes de torture d’opposants.
Selon l’OMPI, la construction a été financée pour un montant inconnu par la diaspora iranienne ainsi que par des moudjahidines qui ont vendu leurs biens.
Ici pas d’enfants ni de vie de famille classique car les « résistants » sont tenus de consacrer toute leur énergie à la lutte. Si les hommes et les femmes partagent travail et vie quotidienne, ils dorment dans des quartiers séparés.
L’OMPI a été accusée par ses détracteurs d’être une secte fermée, ce qu’elle dément avec force. Le site, souligne-t-elle, est ouvert à tous.
« Comme les autres moudjahidines et les autres femmes de l’OMPI, j’ai décidé de sacrifier toute ma vie, mon énergie et mon temps pour mon peuple et la libération du peuple d’Iran », dit Zohreh Akhiani, 56 ans, la « maire » d’Ashraf 3. Sa fille vit en Suède.
Damona Taavoni, 39 ans, vivait aussi en Suède mais a décidé de renoncer à sa « belle vie » pour la « résistance ».
Elle travaille au « centre presse » de la cité pour combattre la « censure » et « dévoiler les crimes du régime ».
Car à Ashraf 3, il s’agit de soutenir la « résistance intérieure » en diffusant des informations recueillies auprès de contacts sur le terrain et les réseaux sociaux, dans un pays où internet fut coupé lors des manifestations de novembre.
Pour le moral des troupes, un studio de musique permet aux artistes de composer et d’enregistrer des chansons.
« C’est l’art de la résistance, nous ne sommes pas des poseurs de bombes comme le régime du Téhéran nous en accuse », lance Rouzbeh Emadzadeh, un chef d’orchestre.
Les moudjhahidines de l’OMPI, fondée en 1965 pour renverser le gouvernement du chah, puis la République islamique, sont considérés comme « terroristes » par Téhéran. Les intéressés démentent. En 2009 puis 2012, l’Union européenne et Washington les rayent de leurs listes des organisations terroristes.
Le groupe avait été déclaré hors la loi par Téhéran en 1981, année où il avait été accusé d’un attentat à la bombe ayant fait 74 morts dont le numéro deux du régime. Les moudjahidines n’ont jamais revendiqué cet attentat, contrairement à d’autres.
L’accueil en Albanie de « résistants » dont personne d’autre ne voulait a fait craindre des attaques dans le petit pays des Balkans accusé récemment par le guide suprême iranien Ali Khamenei d’être « véritablement maléfique », un endroit où complotent des « traîtres ».
Mais Tirana parle d’une opération strictement humanitaire conforme à la « tradition albanaise » d’hospitalité dans « le sillage d’une alliance non négociable avec les Etats-Unis »,
Ces derniers mois, l’Albanie a expulsé plusieurs diplomates iraniens et affirmé avoir déjoué un projet d’attentat contre les moudjahidines.
Ces derniers se disent convaincus que le régime de Téhéran vit son crépuscule.
« Nous avons tissé des relations d’amitié » avec l’Albanie et sa population « mais notre souhait, et également notre évaluation, c’est que nous allons bientôt rentrer », assure Mohammad Mohadessin, un responsable du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI) auquel appartient l’OMPI.