L’affrontement politique entre la majorité pro-Pékin et l’opposition pro-démocratie a trouvé à Hong Kong, à cause du coronavirus, un nouveau terrain d’expression: voilà plusieurs semaines que c’est à qui distribuerait gratuitement le plus de masques aux habitants paniqués par l’épidémie.
Depuis deux mois, les masques font cruellement défaut dans l’ex-colonie britannique, où tout le monde a dès janvier adopté le réflexe d’en porter en permanence dans les lieux publics.
Militants politiques ont d’emblée sauté sur cette pénurie pour lancer une offensive de charme en direction des électeurs, avant même que ne débute la campagne pour les législatives de septembre.
Après plus d’un semestre de manifestations et le triomphe des mouvements pro-démocratie (opposition) aux scrutins locaux de novembre, ces derniers espèrent bien renforcer à cette occasion leur représentation au Conseil législatif (LegCo), le parlement de la région semi-autonome.
Ils ont réussi le 17 février un indéniable coup politique en annonçant avoir mis la main sur 1,2 million de masques en provenance du Honduras.
L’exploit n’est pas passé inaperçu aux yeux d’habitants qui guettaient tout arrivage de cette denrée rare dans leurs magasins de quartier. Une semaine plus tard, le camp pro-Pékin annonçait avoir obtenu un million de masques.
Pour le conseiller local pro-démocratie Eason Chan, 23 ans, la rapide mobilisation des pro-démocratie a poussé la majorité à surenchérir.
« Le fait que nous ayons été les premiers, et que nous continuions à faire venir des masques, ça a d’une certaine façon poussé tous les partis à entrer dans la compétition », a-t-il dit à l’AFP.
« Le camp pro-Pékin veut profiter de cette occasion pour reconquérir les coeurs et accroître son implantation locale. »
Le 24 février, le Bureau de liaison, organe de Pékin à Hong Kong, annonçait que Shenzhen, ville voisine, avait donné un million de masques qui allaient être distribués par une toute nouvelle organisation, la Hong Kong Community Anti-Coronavirus Link (Liaison anti-coronavirus de la population hongkongaise).
« Si cela bénéficie à la population, c’est bien que différents mouvements de la société jouent leur rôle », a déclaré Bunny Chan, un homme politique du camp Pro-Pékin, qui est par ailleurs l’un des 30 coordinateurs de la « Liaison ».
« Nos coordinateurs ont soit d’importantes relations sur le terrain, ou des connexions avec le monde des affaires, et nous pouvons compter sur l’aide de plus de 5 000 volontaires dans la ville », ajoute-t-il.
Que les masques soient ainsi l’objet d’une compétition politique à Hong Kong n’est pas dénué d’une certaine ironie quand on se souvient qu’à l’automne, le masque était montré du doigt par le gouvernement qui avait même interdit son port lors des manifestations pour désamorcer la contestation. Cette interdiction avait finalement été jugée anticonstitutionnelle.
Seule la moitié des membres du LegCo sont élus au suffrage universel, en vertu d’un système qui garantit la majorité aux mouvements alignés sur Pékin.
Mais après l’ampleur des manifestations l’an passé, le bloc opposé à la Chine continentale est en position de progresser très fortement au parlement.
La majorité pro-Pékin, elle, est menacée d’une défaite retentissante.
Trouver des masques est l’activité principale d’Eason Chan depuis qu’il a été investi il y a quelques mois à Kwun Tong, quartier qui était un bastion pro-gouvernemental avant les manifestations.
Depuis janvier, il a distribué 10 000 masques, obtenus grâce à des dons ou payés de sa propre poche.
« Les distributions de masques sont très liées aux élections de septembre », reconnaît-il.
Pékin continue d’afficher un soutien total à la cheffe de l’exécutif local Carrie Lam, alors même que sa popularité est au plus bas.
Nombre de ses alliés au sein du camp pro-Pékin ont commencé à prendre leurs distances à l’égard du gouvernement, voire même à le critiquer, notamment pour sa gestion de la crise.
En cause, le fait que l’exécutif n’ait pas suffisamment de réserves de masques, alors même que la ville aurait dû avoir appris du précédent de 2003, quand près de 300 personnes avaient succombé dans l’ex-colonie britannique au Syndrome respiratoire aigu sévère (Sras).
A ce stade, 149 personnes ont été contaminées à Hong Kong par le Covid-19, une maladie qui a tué quatre personnes.