Namibie, Etat affricain qui souffle ses trente bougies

Pour cause de coronavirus, cette année la fête n’aura pas lieu. Ce 21 mars constitue pourtant une date clé de l’histoire de la Namibie : celle de son indépendance.

Il y a trente ans seulement, le pays accédait enfin à l’autonomie, deux ans avant l’Érythrée, et vingt et un ans avant le plus jeune État d’Afrique, le Soudan du Sud. Il y a trente ans seulement, la Namibie mettait fin à plus d’un siècle de domination. Autrefois terre d’éleveurs et d’agriculture, ce territoire d’Afrique australe a vu son histoire basculer le 10 avril 1883.

Ce jour-là, un commerçant allemand, Adolf Lüderitz, envoie des explorateurs en reconnaissance dans la baie d’Angra Pequena, au sud de ce qu’on appelle alors la « Terre sans nom ». Joseph Frederiks II, le chef Nama, du nom d’un peuple de pasteurs qui vit aussi en Afrique du Sud et au Botswana, lui vend la baie pour 100 livres sterling et 200 fusils. C’est le début de la colonisation allemande. Elle est officialisée le 24 avril 1884, deux mois après la conférence de Berlin qui organise le découpage de l’Afrique entre puissances européennes.

La domination allemande, qui durera jusqu’en 1918, pose les bases d’une société ségrégationniste calquée sur les autres colonies de la région comme l’Afrique du Sud et la Rhodésie. Les premières lois votées en ce sens interdisent, par exemple, les mariages entre les Noirs et les Blancs et instaurent l’obligation d’une autorisation spéciale aux Noirs, délivrée par l’administration, pour la possession de terres. Comme ailleurs en Afrique australe, les Blancs investissent massivement le secteur agricole. En 1914, seuls 1 000 fermiers blancs possèdent près de 13 millions d’hectares de terres.

Mais la colonisation allemande est surtout marquée par un terrible événement, considéré aujourd’hui comme le premier génocide du XXe siècle. Le massacre des Herero et des Nama. En 1904, le peuple Herero, privé de ses terres, se soulève, et tue une centaine de colons. La riposte du général allemand Lothar von Trotha contre les Herrero est terrible. Les Nama, qui s’insurgent un an plus tard, subiront le même sort. Entre 1904 et 1907, 80 % des Hereros et 50 % des Namas ont été exterminés. Au total, plus de 85 000 personnes sont abattues, empoisonnées, ou contraintes à mourir de soif dans le désert. Les prisonniers, eux, sont envoyés dans des camps de concentration où beaucoup meurent de maladie et de malnutrition. Les expériences « scientifiques » qui y ont été menées, destinées à prouver l’infériorité des Noirs sur les Blancs, sont pour beaucoup d’historiens le prélude à l’idéologie nazie.

Mais en 1918, l’Allemagne perd officiellement la Première Guerre mondiale. Lors de la signature du traité de Versailles, en juin 1919, elle renonce à toutes ses colonies. La Société des nations (SDN), ancêtre de l’Organisation des Nations unies (ONU), donne au dominion de l’Union d’Afrique du Sud le droit d’administrer le Sud-Ouest africain. D’autres lois ségrégationnistes sont votées, institutionnalisant un système raciste comme en Afrique du Sud. La propriété foncière est interdite aux Noirs, et dans plusieurs provinces, ceux-ci doivent se munir d’un laissez-passer pour pouvoir se déplacer hors des zones autorisées. Dans les années 1950, les premiers débats entre partisans opposants au colonialisme se font entendre à l’ONU.

Le chef coutumier Herero Hosea Kutako y présente pour la première fois une pétition, dénonçant l’administration sud-africaine. Une décennie plus tard, la résistance s’organise sur le territoire, devenu cinquième province de l’Afrique du Sud. Quelques organisations indépendantistes voient le jour, à l’image de l’Organisation du peuple du Sud-Ouest africain (South West Africa People’s Organization, Swapo). Dans les années 1960 et 1970, la situation se gâte pour les autorités coloniales. L’ONU s’affiche de plus en plus en faveur de l’autonomie du Sud-Ouest africain. Le 12 juin 1968, son assemblée générale vote même la révocation du mandat sud-africain. Mais la décision restera sans effet, Pretoria ne reconnaissant officiellement pas la compétence de l’organisation.

Le 12 septembre, 1973, l’ONU va plus loin. Elle désigne la Swapo comme « représentant unique et authentique du peuple namibien ». Après plusieurs années de bataille, et face à la pression internationale, le Premier ministre sud-africain John Vorster s’engage sur la voie de l’autodétermination du territoire. Avec pour objectif final, l’indépendance. La fin des années 1970 voit l’effondrement du régime ségrégationniste. L’Assemblée vote la loi sur l’abolition totale de la discrimination raciale, et les homelands – ces terres arides où les agriculteurs noirs étaient relégués – sont dissous. L’ONU fixe au 1er avril, le début de la mise en œuvre d’un plan censé enclencher le processus de décolonisation.

Mais ce jour-là, plus de 1 600 combattants en arme de la Swapo investissent le nord de la Namibie. Une grave erreur, puisque le représentant de l’ONU Martti Ahtisaari, en réponse, demande l’aide de l’armée sud-africaine pour repousser l’insurrection vers l’Angola. Les combats sont violents. Côté Swapo, on dénombre 300 morts. Surtout, l’ancienne guérilla est désavouée par l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) et l’ONU qui, jusqu’ici, l’avaient toujours soutenue. Les élections législatives organisées du 7 au 11 novembre 1989 lui donneront tout de même raison. Le jour du vote, 97 % des 700 000 électeurs font le déplacement aux urnes. La Swapo sort en tête avec 57,33 % des voix. Avec d’autres formations politiques, le parti s’attelle à la rédaction de la Constitution et élit Sam Nujoma à la présidence de la République le 16 février. La transition entre l’administration sud-africaine et la nouvelle administration namibienne dure jusqu’au 20 février. Le lendemain, la République de Namibie est reconnue officiellement par la communauté internationale.

Aujourd’hui, la Swapo est toujours au pouvoir. Son chef, Hage Geingob, a été réélu président de la République en novembre 2019. Mais, avec un peu plus de 56 % des suffrages, le parti signe le plus mauvais score jamais réalisé par l’un de ses candidats. Les divers scandales de corruption ont lourdement érodé la popularité de l’ancien mouvement de libération. Au risque de devenir, à l’image de la Zana-PF du Zimbabwe ou de l’ANC sud-africain, un parti à l’aura passée ternie par les manœuvres politiques.

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