En pleine pandémie de coronavirus, Bruxelles a brillé par son absence, laissant les États membres livrés à eux-mêmes. Regagner en crédibilité, montrer que l’Union européenne peut apporter une solution commune et concrète, tel est l’enjeu du sommet européen qui débute ce 26 mars. En prend-il le chemin? Éléments de réponse.
L’Union européenne (UE) joue gros à l’occasion du sommet –en visioconférence, une première– qui se tient ces 26 et 27 mars. Deux jours durant lesquels les chefs d’État et de gouvernement des 27 pays membres de l’Union vont devoir reprendre collectivement la main ou, du moins, sauver les apparences.
Tous les éléments d’un «perfect storm», un orage parfait, planent en effet sur les discussions: pandémie de coronavirus, crise migratoire –notamment en Grèce–, «replis nationaux», selon les mots d’Emmanuel Macron, manque de solidarité à l’égard de l’Italie…
Si la lutte contre la pandémie s’est finalement invitée en tête des préoccupations de cette réunion du Conseil européen, inscrite de longue date à l’agenda, la communication de la Commission européenne sur ce sommet est restée déconcertante jusqu’au dernier moment. En pleine pandémie, la présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen, s’est félicitée, le 23 mars, de l’avancée du processus d’adhésion de deux nouveaux petits États.
«Excellente nouvelle pour les Balkans occidentaux et l’UE. Ravie du feu vert des États membres pour lancer les discussions d’adhésion avec l’Albanie et de la Macédoine. J’espère que le Conseil européen confirmera cette semaine, leur futur est dans l’Europe», a-t-elle tweeté.
Qu’importe si ces deux États compteraient parmi les plus pauvres de l’UE s’ils la rejoignaient, qu’importe si l’Albanie n’est toujours pas venue à bout des organisations mafieuses qui la minent et si une minorité albanaise contribue à une situation de quasi-guerre civile au Monténégro. Qu’importe, également, si Athènes a accepté du bout des lèvres de reconnaître en mai 2019 seulement la République de Macédoine du Nord, sur fond de presque 30 ans de contentieux historique.
Sans doute la chef de l’exécutif européen a-t-elle voulu montrer que tout n’était pas tout noir en Europe. Mais il est probable qu’en dehors de l’entre-soi de Bruxelles, ce tweet soit plutôt perçu comme hors sujet. Malgré la pandémie, l’élargissement de l’UE se poursuit, «quoi qu’il en coûte», comme dirait Emmanuel Macron à propos de la lutte contre le coronavirus: telle pourrait être l’interprétation de ce message.
Signe de la déconnexion de l’organisation supranationale avec la réalité? Les institutions de l’Union européenne ont été surprises par l’ampleur de la pandémie du Covid-19. Ursula von der Leyen l’a d’ailleurs elle-même admis le 18 mars dernier: «Je pense que nous tous, qui ne sommes pas experts, avons sous-estimé au départ le coronavirus».
De fait, alors que ses partisans attendaient de l’UE une réponse forte à la crise sanitaire, Bruxelles n’a défini aucune politique commune en la matière. Plus grave, l’Italie, où la crise sanitaire s’est déclarée beaucoup plus tôt, s’est retrouvée laissée pour compte. La République tchèque est même accusée d’avoir détourné un stock de 680.000 masques de protection. L’Allemagne, de son côté, avait interdit début mars l’exportation de matériel médical de protection. Maigre solidarité européenne, seule une poignée de régions allemandes, en dehors de toute volonté de Bruxelles ou même de Berlin, ont accepté le 24 mars de prendre en charge quelques dizaines de malades italiens et français du Covid-19.
Ce 26 mars, le Parlement européen doit cependant apporter sa modeste contribution à la lutte contre la pandémie. 37 milliards d’euros de fonds de cohésion devraient être débloqués et, autre petit coup de pouce à l’économie réelle, les compagnies aériennes devraient voir levée leur obligation d’assurer des liaisons vers des destinations où les avions ne seraient pas suffisamment remplis.
Pour le reste, l’UE a répondu à la crise du coronavirus avec ses leviers habituels. Le 18 mars, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé d’injecter 750 milliards d’euros dans le système: du «quantitative easing», de la création de signes monétaires destinés au rachat de titres de dette, privée comme publique.
Dans la même veine macroéconomique, Ursula von der Leyen a suspendu le 20 mars dernier la règle d’or de la rigueur budgétaire européenne. «Nous déclenchons la clause dérogatoire générale», annonçait-elle alors. Et de poursuivre: «Les gouvernements nationaux peuvent injecter dans l’économie autant qu’ils en auront besoin.» Signe que les vieux États nations reprennent l’initiative, les dirigeants de neuf pays européens ont proposé au Conseil européen des «coronabonds», sorte d’euro-obligations afin de faire face à une explosion possible des dettes souveraines.
Paradoxe? Après avoir délégué des pans entiers de leur souveraineté, jusqu’à la maîtrise de leur politique budgétaire depuis l’entrée en vigueur du Pacte budgétaire en 2012, les États membres retrouvent face à la crise du Covid-19 leurs prérogatives régaliennes. L’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne et d’autres –à l’exception notable de la France– n’ont ainsi pas attendu le feu vert de l’UE pour rétablir des contrôles aux frontières que l’on pensait à Bruxelles relever d’un autre âge.
C’est l’étonnant retournement de situation que la pandémie de Covid-19 aura provoqué.