L’Italie fait preuve d’une « grande solidarité » et d’une « grande fraternité » face au coronavirus, selon un spécialiste

L’Italie fait front commun face à la crise du coronavirus. Le pays est frappé de plein fouet, avec 14 681 morts officiellement enregistrés, et paie le plus lourd tribu au monde.

Pourtant, le pays fait preuve d’une certaine unité, d’une « grande solidarité » et d’une « grande fraternité », selon Marc Lazar, politologue spécialiste de l’Italie et directeur du centre d’Histoire de Sciences Po, sur franceinfo, non sans que des voix s’élèvent déja dans l’opposition.

Franceinfo : Vous soulignez l’union de tout un peuple, de toute l’Italie. Cette crise révèle-t-elle chez les Italiens des traits de caractère qu’ils ignoraient eux mêmes ?

Oui, je crois. Souvent, notamment en France, on présente les Italiens comme mal disciplinés, inciviques et individualistes. Là on voit, depuis le début de la crise, au contraire, que l’on on a une population qui, dans l’ensemble, respecte les consignes et fait preuve d’une grande solidarité, de grande fraternité et qui aussi communie dans un sentiment et dans une sensibilité nationale qu’on ne lui connaissait pas toujours.

Pour l’instant, le gouvernement est plutôt épargné par les critiques ?

Il faut faire très attention parce qu’effectivement, toutes les enquêtes d’opinion montrent une très grande popularité du gouvernement de Giuseppe Conte. Mais je cette immense popularité presque inédite à l’égard d’un chef de gouvernement en Italie est plus liée à la fonction institutionnelle et à la situation dramatique qu’à la personne même de Giuseppe Conte, qui pour le moment est aux commandes mais lorsque l’Italie sortira de la crise, risque immédiatement attaqué. D’ailleurs, il l’est un peu par les partis de l’opposition. Il sera également affaibli parce qu’il devra rendre compte justement de l’ampleur de l’épidémie. C’est quelqu’un qui n’a pas de parlementaires, qui n’a pas de parti politique et déjà, il y a des scénarios qui s’ébauchent pour le remplacer.

Si l’unité politique apparaît enfin en Italie, alors qu’elle semblait impossible depuis des mois, c’est donc grâce à sa position institutionnelle ?

C’est grâce à la période de crise et le drame. Et comme on se méfie de l’Europe, comme on a une forme de défiance à l’égard de l’Europe, on se rassemble autour de la figure qui incarne la dimension nationale : actuellement Giuseppe Conte et on pourrait rajouter aussi le président de la République, Sergio Mattarella. Attention, cette sensibilité réelle dans l’opinion publique ne signifie pas qu’il y a un accord de toutes les forces politiques et l’opposition, c’est-à-dire en particulier Matteo Salvini; n’épargne pas ses coups contre le gouvernement Conte. Il est bien décidé à tenter de lui régler ses comptes, mais après la sortie de crise.

L’Italie se sent abandonnée par l’Union européenne ?

Oui, et même les pro-européens le disent. C’est celà qui est un fait nouveau et qui marque la profonde crise européenne de l’Italie actuellement. Il faut bien voir que c’est bien sûr lié à cette situation épouvantable que connait ce pays, mais aussi parce que cela arrive après plusieurs rapports de défiance à l’égard de l’Union européenne. L’Euro a été adopté par les Italiens, mais ils n’en sont pas enthousiastes, la crise économique de 2008-2013 a profondément marqué ce pays avec du chômage, des inégalités et de la pauvreté. On comptait plus de 5 millions de pauvres avant la crise, ce qui veut dire que ce nombre de pauvres va encore augmenter. Et puis il y a la crise des migrants, à partir de 2013 2014. L’Italie, oui, se sent abandonnée par l’Europe, alors qu’il ne faut jamais oublier que c’était le pays le plus pro-européen de tous les pays européens.

Avec la crise, certaines faiblesses apparaissent dans la force économique de l’Italie, son système de santé ?

La question, évidemment, est celle de l’évaluation de son système sanitaire. C’est le paradoxe de l’Italie, la région la plus touchée, la Lombardie, a le meilleur système sanitaire du pays et est équivalent au meilleur système sanitaire du reste de l’Union européenne. Il y aura beaucoup d’interrogations, une fois que ce pays et cette région seront sortis de cette pandémie pour comprendre ce qui s’est passé. Du point de vue économique, il y a une énorme incertitude, plus encore plus que pour les autres pays européens. Parce que l’Italie, déjà avant la crise du coronavirus, était une économie très incertaine, très fragile, avec un très faible taux de croissance. Et là, elle plonge dans une récession qui laissera des traces durables.