Des divergences entre le président de la République et son Premier ministre sont apparues au grand jour, mardi, pour la présentation du plan de déconfinement. Des tensions inhérentes au couple de l’exécutif sous la Ve République.
Des articles de presse révélant des propos qu’aurait tenu Emmanuel Macron à des journalistes au sujet d’Édouard Philippe ; un président de la République qui se sent obligé de démentir ; et un Premier ministre annonçant des mesures de déconfinement qui contredisent les promesses du chef de l’État : il y avait comme de l’électricité dans l’air, mardi 28 avril, au sein du couple exécutif.
Des articles de L’Express et du Point, notamment, ont fleuri quelques heures avant le discours d’Édouard Philippe à l’Assemblée nationale. Ceux-ci relataient des appels téléphoniques passés par Emmanuel Macron à quelques journalistes pour leur faire part de son désaccord avec la décision de son Premier ministre de maintenir le même jour la présentation du plan de déconfinement et le vote des députés. Plusieurs groupes parlementaires ayant demandé le report du vote au moins à mercredi afin d’avoir un « temps de réflexion » sur cette stratégie.
L’entourage du président a catégoriquement réfuté tout épanchement auprès de la presse, faisant valoir « l’unité d’action » et la « convergence de vue totale » d’Emmanuel Macron et d’Édouard Philippe concernant la gestion de la crise sanitaire.
« L’ensemble de l’exécutif est pleinement aligné dans cette crise. Je n’aurai aucune complaisance à l’égard de ceux qui, par des bruits et des rumeurs, tentent de diviser le gouvernement et singulièrement le Premier ministre et le président de la République », a en particulier déclaré le chef de l’État lors du conseil des ministres, mardi matin, selon des propos rapportés par un participant.
Enfin, Édouard Philippe a plusieurs fois contredit Emmanuel Macron, mardi après-midi, lors de la présentation de son plan de déconfinement. Alors que le président avait insisté, lors de sa dernière allocution télévisée le 13 avril, sur une fin du confinement le 11 mai, le Premier ministre a rappelé les incertitudes liées à l’évolution de la situation sanitaire. « Je le dis aux Français, si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne déconfinerons pas le 11 mai, ou nous le ferons plus strictement. »
De même, la reprise de l’école est loin d’être acquise pour tous les élèves, contrairement à ce qu’avait indiqué le président. Enfin, alors qu’Emmanuel Maron avait indiqué le 23 avril que le déconfinement ne serait pas « régionalisé », le chef du gouvernement a finalement annoncé une différenciation par département en fonction de la circulation du virus.
« La relation entre un président de la République et son Premier ministre n’est jamais un long fleuve tranquille », rappelle l’historien Frédéric Fogacci, directeur des études et de la recherche à la Fondation Charles de Gaulle, spécialiste de la Ve République, contacté par France 24. « Que ce soit Charles de Gaulle et Michel Debré, Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas, Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac ou encore François Mitterrand et Pierre Mauroy, il y a toujours eu des tensions au sein du couple exécutif. C’est inévitable. »
Conscient du problème, Emmanuel Macron avait pourtant voulu limiter au maximum les divergences entre l’Élysée et Matignon après son élection en partageant onze conseillers avec son Premier ministre. Une première dans l’histoire de la Ve République pour donner « plus de cohérence et plus d’efficacité » à l’action de l’État, selon les mots d’un proche du président, cité en juillet 2017 par Le MondeБ.
« Personne, Monsieur le Premier ministre, ne doit être tenu de gagner les paris du président de la République. Le bon moment pour déconfiner, c’est le moment où l’on est prêt », a lancé le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, à la tribune du Palais Bourbon.
« Au demeurant, vous n’êtes pas le responsable des diagnostics erronés », a souligné de son côté le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, avant d’égrener l’ensemble des déclarations contradictoires, et en particulier celles du chef de l’État, depuis le début de la crise sanitaire.
« Il faut garder en tête que le président et le Premier ministre ne sont pas dans la même position, tempère Frédéric Fogacci. Le premier fixe un cap et le second est chargé de mener le navire à bon port. Cela signifie que le travail d’Édouard Philippe est beaucoup plus technique et donc plus en lien avec les contraintes du terrain, ce qui aboutit à un résultat qui n’est pas exactement identique aux promesses initiales. »
La vision positive de la relation entre le président de la République et le Premier ministre consisterait donc à dire qu’il existe entre eux une forme de complémentarité. Mais à celle-ci s’ajoute un rapport de force inévitable lorsque des désaccords apparaissent et le chef de l’État n’obtient pas toujours gain de cause dans les arbitrages.
« L’exemple le plus connu reste le tournant de la rigueur en mars 1983, se remémore Frédéric Fogacci. François Mitterrand souhaitait sortir du système monétaire européen (SME) mais Pierre Mauroy (Premier ministre) et Jacques Delors (alors ministre de l’Économie) l’en ont dissuadé. »
Le processus de décision se construit souvent dans la douleur, sur des compromis et des arbitrages qui doivent tenir compte de données contradictoires. Emmanuel Macron et Édouard Philippe ont ainsi « passé six heures ensemble pour arbitrer la stratégie de déconfinement », soulignait mardi un ministre, cité par l’AFP.
Reste à savoir si le couple exécutif survivra à la pandémie de Covid-19. Profiter d’une crise pour changer de Premier ministre est un autre classique de la Ve République. Or des rumeurs de remaniement ont surgi ces derniers jours, alimentées par la promesse présidentielle du 13 avril de se « réinventer » pour « bâtir un autre projet ».