Evacués des hôpitaux hongrois, des malades souffrent à domicile

Atteinte d’une pneumonie chronique et d’une tumeur au rein, la mère de Lilla Ilona Szeleczki a dû quitter sa chambre d’un hôpital de Budapest, réquisitionnée pour combattre le nouveau coronavirus. Une semaine plus tard, elle était morte.

« Ma mère a souffert pendant six jours à la maison, sans soins médicaux appropriés. Elle n’aurait jamais dû quitter l’hôpital », s’émeut auprès de l’AFP Mme Szeleczki, 58 ans.

Cette famille hongroise est l’une des nombreuses placées ces dernières semaines devant un défi humain et logistique : prendre en charge, sans aucune préparation, un proche malade qui a dû libérer son lit d’hôpital au profit d’éventuels malades du Covid-19.

La Hongrie, qui compte près de 10 millions d’habitants, a enregistré quelque 3 000 cas de Covid-19 et un peu plus de 300 décès. Malgré cette contamination limitée, le gouvernement a ordonné le mois dernier aux hôpitaux de s’assurer que la moitié des 67 000 lits du pays étaient vides et disponibles.

Le 15 avril, Lilla a installé sa mère de 79 ans dans l’appartement de sa soeur, en périphérie de Budapest. L’état de la vieille dame, en phase terminale, s’est rapidement aggravé ; inconsciente, elle a été ramenée à l’hôpital le 21 avril. Elle y est décédée le lendemain.

« Je n’oublierai jamais quand je l’ai vue partir dans l’ambulance du haut de mon balcon, sa chemise de nuit recouverte d’une fine couverture », confie Mme Szeleczki à l’AFP.

Le Premier ministre Viktor Orban a reconnu que l’évacuation des hôpitaux, une opération « de type militaire » à mener dans un délai de quatre jours ouvrables, avait provoqué « un inconfort ».

Mais il a justifié la décision comme une mesure de précaution au cas où le nombre d’infections s’envole, surtout après la première phase d’assouplissement du confinement qui débutera lundi.

Le ministre de la Santé Miklos Kasler a affirmé que l’évacuation n’avait concerné que 2% des lits car les hôpitaux étaient loin d’être pleins.

Le chiffre est contesté par l’opposition, alors que les autorités refusent de préciser combien de patients ont été renvoyés chez eux. Dans leur appartement exigu, Lilla et sa soeur ont dû improviser des soins et des gestes qu’elles ignoraient, comme les injections. « Notre chère mère était allongée là. Chaque mouvement était douloureux. La moitié de chaque bouchée et de chaque gorgée tombait à côté », explique-t-elle.

La famille prévoit maintenant d’intenter une action en justice contre l’hôpital, même si elle n’a « guère d’argent pour un enterrement correct, alors les frais d’avocat… ».

Parmi les cas les plus dramatiques évoqués dans la presse figure une personne souffrant de la maladie d’Alzheimer et victime d’un AVC fatal, 12 heures après son retour à la maison.

Ildiko Kovacs a récupéré sa mère convalescente d’une jambe cassée alors qu’elle devait intégrer une unité de rééducation.

« Je ne travaille plus beaucoup en ce moment car je passe la plupart de mon temps à m’occuper d’elle et de sa jambe », explique à l’AFP cette quadragénaire.

La directrice générale de la Santé, Cecilia Müller, a beau avoir insisté sur le fait que personne ne devait quitter l’hôpital si sa santé risquait de se détériorer, la Chambre hongroise des médecins a jugé que la mesure était « professionnellement injustifiée ».

Cette organisation indépendante estime que l’évacuation « entraîne de graves problèmes d’éthique médicale et de conscience ».

Le gouvernement nationaliste contrôlant étroitement les informations sur sa stratégie antivirus et les courbes d’infection, les spéculations sont allées bon train sur les raisons d’une mesure si radicale. Il a été interdit aux médecins de s’exprimer publiquement sur ce sujet. Un directeur d’hôpital qui n’a pas respecté l’ordre a été licencié.

« Soit le gouvernement s’attend à une très forte augmentation du nombre de cas, soit il se trompe tout simplement de politique », avance la députée européenne Katalin Cseh, figure de l’opposition.

D’autres ont des hypothèses plus sombres. « C’est comme utiliser une sorte d’euthanasie pour faire baisser le nombre de lits dans les anciens hôpitaux inefficaces, pour pouvoir les fermer plus tard », s’inquiète auprès de l’AFP un médecin de Budapest, sous couvert d’anonymat.

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