Plusieurs africains vivent Égypte « avec 500 g de riz par jour, pour 5 »

Des guirlandes rouges et argentées égayent les ruelles étroites et terreuses du quartier Faysal, au sud du Caire, non loin des pyramides de Gizeh.

 

Un signe qui annonce d’ordinaire les festivités du mois du ramadan et ses grandes tablées populaires, où chacun est invité à partager la rupture du jeûne. Une tradition bannie cette année pour cause d’épidémie. Et un lointain souvenir pour Oum Elal, 38 ans, le visage vieilli de fatigue et les yeux gonflés de larmes. Depuis un mois, elle récure gratuitement son immeuble de douze étages. C’est l’arrangement que cette réfugiée soudanaise et mère seule de cinq enfants a trouvé pour éviter l’expulsion de son appartement.

« Depuis mars, plus personne n’accepte de femme de ménage chez lui par crainte de contamination, donc tous les emplois ont été détruits », se désole Oum Elal, qui travaillait sans contrat au sein de familles égyptiennes. Sans ressource, impossible de payer son loyer de 1 400 livres égyptiennes (80 euros), l’équivalent d’un salaire de petit fonctionnaire. Pour se nourrir, elle compte sur les réseaux de solidarité de la communauté soudanaise. Tout juste de quoi ne pas mourir de faim. « On vit avec 500 g de riz chaque jour pour toute la famille », lâche Oum Elal drapée dans sa longue robe colorée.

Au centre communautaire Les Ailes fortes, créé par quatre Soudanais en 2015, les demandes d’aide ont explosé depuis mars. En deux mois, près de 600 nouvelles familles, principalement soudanaises et érythréennes, sont venues frapper à la porte de ce deux-pièces rudimentaire, reconverti en local associatif. Les dons envoyés par la diaspora soudanaise ont permis de financer des colis alimentaires pour les 300 familles les plus vulnérables : 1 kg de riz, 2 kg de farine, de l’huile, du thé et du sucre. Le strict nécessaire en ce mois de ramadan où, comme chaque année, l’inflation est au rendez-vous. D’autres collectes auprès des milieux d’affaires soudanais locaux ont permis d’acheter des médicaments.

Les Soudanais représentent la plus importante communauté étrangère en Égypte, avec 3 millions de résidents, selon les estimations d’ONG. Mais seulement 21 000 sont enregistrés comme réfugiés auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et peuvent ainsi bénéficier de leurs services. Depuis près de deux mois, les bureaux ont fermé et ont été remplacés par des lignes téléphoniques surchargées. Nombre de réfugiés en détresse se plaignent de n’avoir eu personne au bout du fil, malgré leurs multiples tentatives. Au Point, le service communication de l’UNHCR répond avoir ajouté deux lignes téléphoniques et débloqué une aide financière ponctuelle pour 15 000 réfugiés supplémentaires. Pour remédier à l’urgence, le Programme alimentaire de l’ONU a triplé le nombre d’allocations (une vingtaine d’euros) qu’il verse aux réfugiées enceintes et mères d’enfants en bas âge, soit près de 12 000 femmes contre 4 000 deux mois plus tôt.

Certains n’hésitent pas à profiter de la détresse de ces mères. « Des connaissances ont essayé de m’exploiter et de monnayer du sexe contre leur aide financière », s’insurge Oum Elal. Une situation loin d’être isolée, selon Amir Khaled qui a recueilli plusieurs témoignages similaires de femmes contraintes de se prostituer en échange de menus subsides. Pour beaucoup, l’urgence est de retrouver un toit. Une soixantaine de familles, expulsées par leur propriétaire, ont pu être relogées grâce à la mobilisation d’Amir et ses amis.

Des solutions néanmoins souvent précaires comme celle d’Amira Ali et ses quatre enfants qui sont hébergés dans la chambre d’amis d’un jeune couple, depuis quinze jours. « On risque d’être délogés à tout moment, car le mari a perdu son travail de serveur à cause de la fermeture des cafés. Personne ne peut payer le loyer et je me sens totalement impuissante », murmure la jeune femme de 34 ans. Enregistrée depuis un an comme demandeuse d’asile, elle ne perçoit plus d’aides du Haut-Commissariat aux réfugiés depuis le début de l’année, « car ils m’ont dit ne plus avoir de budget suffisant ». En 2019, les gouvernements n’ont versé au HCR que la moitié des fonds nécessaires pour assister les 82 millions de réfugiés et déplacés dans le monde.