Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé que la France a consacré l’équivalent de 20 % de son PIB pour soutenir l’économie face aux conséquences du Covid-19. Mais cette affirmation est à prendre avec des pincettes et ne dit pas toute l’histoire sur comment l’argent est dépensé.
« La France a mis 450 milliards d’euros sur la table, soit 20 % de notre production, pour sauver l’économie. » Ce montant, annoncé lundi 25 mai par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, propulse la France en tête, ou presque, des pays qui ont dépensé le plus par rapport à leur PIB pour faire face aux conséquences économiques de la pandémie de Covid-19.
En effet, d’après les calculs de Ceyhun Elgin, un économiste de l’université de Columbia et auteur d’un indice mondial des plans de relance, seuls le Japon et Malte ont fait un effort budgétaire d’environ 20 % de leur produit intérieur brut. Des pays comme les États-Unis ou l’Allemagne seraient largement à la traîne, avec des enveloppes d’aides qui se montent à moins de 15 % du PIB.
Pourtant, dans cet index, la France n’apparaît que loin derrière. Alors quid ? Bruno Le Maire aurait sorti des chiffres fantaisistes de son chapeau ? Pas forcément. « Il est très difficile de faire des comparaisons internationales car les pays n’utilisent pas tous les mêmes outils pour soutenir leur économie », note Mathieu Plane, spécialiste de l’économie française à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), contacté par France 24. Autrement dit, il faut comprendre ce que les uns et les autres prennent en compte pour évaluer l’effort financier fourni durant cette pandémie.
Car, en France, « l’injection directe de fonds dans l’économie n’est qu’une faible partie du plan de soutien à l’économie », affirme Mathieu Plane. Ainsi, sur un total de 450 milliards d’euros, les seules garanties de l’État pour les prêts représentent déjà 300 milliards d’euros. Cette mesure ne pèsera sur les comptes publics que si les emprunteurs n’arrivent pas à rembourser. Idem pour deux autres volets de l’arsenal déployé par le gouvernement : la mise en place fonds de recapitalisation et le report du paiement des charges sociales et autres impôts.
Dans le premier cas, il s’agit de sommes permettant à l’État de rentrer au capital d’entreprises en difficulté pour les renflouer. « Si elles font faillites, ce sont des pertes sèches pour les caisses publiques, mais si elles survivent, l’État pourra se rembourser sur les dividendes, voire dégager un profit », précise Mathieu Plane.
Les initiatives visant à alléger le fardeau fiscal ne sont que des reports, c’est-à-dire que les contribuables devront s’acquitter de ces taxes à une date ultérieure. « La question est de savoir dans quelle mesure ces reports ne vont pas se transformer en annulations pures et simples, comme c’est discuté actuellement », souligne l’économiste de l’OFCE.
Le hic, c’est que les 300 milliards de prêts garantis mis à part, le gouvernement n’a pas spécifié comment les sommes engagées étaient réparties. « On ne sait donc pas précisément quels sont les montants directement injectés dans l’économie », note Mathieu Plane. Il ne faut pas forcément y voir une volonté de cacher les chiffres : l’enveloppe pour la prise en charge du chômage partiel, par exemple, peut évoluer en fonction de la durée d’application de cette mesure.
Quoiqu’il en soit, ces dépenses directes restent le parent pauvre des mesures annoncées. Pour autant, cela ne veut pas dire que le plan de soutien à l’économie du gouvernement manque d’ambition. « Il est exceptionnel de par son ampleur, et il est calibré pour répondre à deux urgences : limiter la hausse du chômage et préserver au maximum l’activité », résume Mathieu Plane. La prise en charge du chômage partiel et les aides directes aux petites entreprises et artisans doivent permettre de limiter la casse sociale, tandis que la garantie de l’État pour les prêts et le report d’imposition sont censés éviter que les entreprises mettent la clé sous la porte.
En théorie, la logique est aussi de dépenser plus aujourd’hui pour faire davantage d’économies plus tard. « Plus les mesures d’urgence sont importantes, plus elles absorbent le choc économique immédiat, et moins le plan de relance aura à être ambitieux », explique Mathieu Plane. D’où la volonté de l’État de déconfiner l’économie au plus vite. Le gouvernement mise sur le fait que grâce à ses mesures de soutien, les bases d’une forte reprise de l’activité sont jetées, ce qui permettra d’éviter à avoir à élaborer un plan de relance trop ruineux pour la période de sortie de crise.
C’est là un pari risqué. D’abord, parce que le choix de s’appuyer fortement sur des reports de cotisation et des prêts garantis plutôt que sur des transferts directs d’argent fait planer à l’horizon le spectre d’un « mur de la dette privée ». Lorsque l’État ne maintiendra plus l’économie sous perfusion, il faudra rembourser et si la reprise est moins forte qu’espérée, « le risque des faillites va être fort », prévient Mathieu Plane. Il souligne qu’à l’heure actuelle, nul ne sait comment le gouvernement prévoit de gérer une telle situation. Surtout que l’exemple chinois démontre que l’après-crise n’est pas forcément synonyme de croissance forte.
L’industrie se trouve aussi dans une situation délicate. Car il n’y pas que les salaires qui leur coûtent cher. « Tout ce qui concerne l’entretien des équipements et l’amortissement des investissements représente des charges financières importantes qui ont été bien moins prises en compte par les pouvoirs publics », note ce spécialiste. Les avions cloués au sol, les trains qui ne roulent pas, et plus largement, le matériel acheté qu’il faut rembourser : autant de frais fixes qui peuvent faire plonger des industries entières dans le rouge.
Le risque est que le gouvernement se retrouve avec une multiplication de secteurs industriels en difficulté. Il serait alors obligé d’agir au cas par cas, comme un pompier qui ne peut intervenir que lorsque le feu est déjà déclaré. C’est le scénario qui est en train de se dessiner avec les plans de soutien au tourisme et à l’automobile. La tentation peut alors être grande « de voler au secours des champions de chaque filière – comme Renault ou la SNCF – mais d’oublier tout l’écosystème de sous-traitants qui sont pourtant essentiels », affirme Mathieu Plane.
Ce danger qui pèse sur la santé de l’industrie risque aussi de « remettre en cause la volonté politique affichée de relocaliser en France une partie de la production », soutient l’économiste de l’OFCE. Si aucun dispositif global, à l’image de la prise en charge du chômage partiel, n’est mis en place pour sauvegarder les outils de production, le président Macron aura beau répéter qu’il faut moins dépendre des composants produits en Chine ou ailleurs, les alternatives « made in France » risquent de manquer à l’appel.