Alexandre Loukachenko : la ruée vers le sixème mandat présidentiel

C’est plus fort que lui. Lorsqu’il visite une ferme, Alexandre Loukachenko expose volontiers sa science agricole.

En ce 15 mai, alors qu’il vient à peine de débarquer de son hélicoptère posé dans le champ d’une exploitation de Vitebsk, au nord de la Biélorussie, il fait la leçon à la délégation venue l’accueillir. « Organisez-vous bien pour ramasser cette saison à la fois le grain et le foin », lance-t-il devant des responsables surpris de l’entendre énoncer la base du métier. Le petit groupe se rend ensuite dans une étable. « Nous séparons les vaches de plus de 6 mois des autres », précise l’un des gérants. « Bravo pour cette méthode ! » complimente, cette fois, Loukachenko. « La terre produit la nourriture pour les animaux. Et la viande des animaux permet de faire rentrer l’argent », poursuit platement celui qui fut jadis le directeur d’un sovkhoze, une ferme d’État soviétique.

Le président biélorusse est ainsi. Il a un avis sur tout. Pas toujours pertinent. Exemple ? Depuis plusieurs semaines, son « expertise » sur le Covid-19 nourrit les programmes télévisés. Pour l’éradiquer, il prône une recette : la vodka, le sauna et le labeur. « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux », fanfaronne-t-il. Il fustige aussi les plus fragiles de ses concitoyens. « Comment pouvez-vous vivre en pesant 135 kilos ? Votre cœur défaille ! Vous avez un corps malade et le virus vous attaque. » Quant au confinement, il l’exclut. « Il faut bien que l’économie tourne et que les gens mangent. »

Personne n’ose le contredire. Depuis plus d’un quart de siècle, Loukachenko, 65 ans, règne en maître sur cette ancienne république soviétique de 9,5 millions d’habitants. Un pays coincé entre la Pologne et la Russie et qualifié par Washington de « dernière dictature d’Europe ». Depuis le retrait de son homologue kazakh, Loukachenko est même le plus vieil autocrate de l’espace postsoviétique en exercice. Et l’homme à la moustache n’entend pas en rester là. En août, il brigue un sixième mandat, lui qui jure pourtant « ne pas vouloir mourir dans son fauteuil de président »

Loukachenko, il est vrai, concentre toutes les critiques. Pas seulement en raison de sa longévité et de sa poigne. Sa vie privée est aussi pointée du doigt. C’est le cas lorsqu’il intègre son fils Nikolaï, 16 ans, issu d’une liaison extraconjugale, à tous ses déplacements officiels, tel un héritier. Ou lorsqu’il parachute à un poste de député sa petite amie âgée de 23 ans, une ancienne reine de beauté, arrivée troisième au concours Miss monde.

Alors, Loukachenko se méfie. Dès le lendemain des protestations, il convoque le chef du KGB, le service de renseignements du pays (dont l’appellation demeure inchangée depuis la chute de l’URSS). « Je préviens tous ceux qui nous écoutent qu’il n’y aura pas ici de révolution de Maïdan », martèle le président en référence à la révolution ukrainienne. Et d’accuser une « bande criminelle » de vouloir précipiter le chaos. En face, le galonné, la tête basse, ne pipe mot.

Loukachenko prend même les devants. Ces derniers jours, il a expédié en prison deux figures de l’opposition : Sergueï Tikhanovski, un blogueur devenu très populaire grâce à sa chaîne YouTube baptisée Pays pour la vie, un site sur lequel les habitants relatent leurs déboires face aux autorités ; Et Mikola Statkevich, déjà emprisonné durant six ans pour avoir tenté de se présenter en 2010 contre Loukachenko.

Deux autres candidats pourraient bousculer les plans de l’homme fort. Deux personnalités a priori destinées à donner le change, lors de l’élection : Valery Tsepkalo, le créateur de la Silicon Valley locale, et Viktor Babariko, un ancien banquier. Sauf que tous deux n’ont pas forcément envie de faire de la figuration. « Ils ont des convictions libérales, de l’argent et beaucoup de relais, écrit dans son dernier rapport Artyom Shraibman, un analyste de l’institut Carnegie. Les autorités biélorusses prennent un risque car ils peuvent rapidement monter dans les sondages. »

Reste une autre menace : la situation économique plombée par l’interruption des exportations des deux principales sources de revenus du pays : les engrais et le pétrole raffiné. Sans parler des relations tendues avec la Russie, furieuse de voir Loukachenko rejeter ses propositions d’intégration et qui n’hésite plus à lui couper ses approvisionnements en hydrocarbures.

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