La pandémie mal maîtrisée de coronavirus et les critiques de plus en plus insistantes sur la gestion de la grave crise sanitaire par le gouvernement arménien sont-ils en passe de déstabiliser le premier ministre Nikol Pashinyan ?
Toujours est-il que N. Pashinyan a limogé lundi 8 juin sans autre forme de procès le général le plus étoilé de l’armée arménienne ainisi que les chefs de la police et du Service de sécurité nationale (SSN). N. Pachinian n’a donné aucune raison pour cette mesure inattendue qu’il a annoncée sur sa page Facebook. Il a seulement remercié le Lieutenant-Général Artak Davtian, ainsi que le chef de la police nationale Arman Sargsian et le directeur du SSN Eduard Martirosian pour leurs bons et loyaux – façon de dire !- services.
N. Pashinyan a précisé plus tard lundi qu’ils avaient été remerciés pour avoir failli dans leur mission de faire respecter les mesures de confinement imposées aux Arméniens dans le cadre de l’état d’urgence, de la fin mars à la fin avril. MM.Sargsian et Martirosian avaient été nommés à la tête des deux instances sécuritaires du pays pour un mandat permanent il y a un peu moins de trois mois. Ils occupaient respectivement les positions de chef de la police et du SSN depuis septembre 2019. N. Pashinyan a d’ores et déjà fait savoir que A. Sargsian sera remplacé par un autre colonel de la police, Vahé Ghazarian, tandis qu’E. Martirosian sera remplacé par son adjoint récemment nommé à ce poste, Argishti Kyaramian.
Ce dernier, âgé de 29 ans, dirigeait une instance en charge de la lutte anti-corruption jusqu’en mai dernier. Contrairement à son prédécesseur, il n’a jamais occupé de poste au sein de la plus puissante agence de sécurité d’Arménie, et la nomination de A. Kyaramian à la direction du SSN semble relever d’une décision strictement politique. Le nouveau chef d’état-major de l’armée arménienne a été lui aussi aussitôt nommé. Il s’agit du Lieutenant-Général Onik Gasparian, qui était jusque-là le premier adjoint du général Davtian. N. Pashinyan s‘est montré un peu plus disert sur ce grand coup de balai lorsqu’il a présidé le soir même une réunion de hauts responsables du gouvernement en charge de l’épidémie de coronavirus. MM. Sargsian et Martirosian assistaient également à cette réunion. « Ce sont les hauts responsables de l’Etat qui doivent d’abord et surtout démontrer par leurs actions l’importance des mesures à suivre contre l’épidémie », a déclaré N.Pachinian, en ajoutant : « Hélas, nous avons vu des choses qui n’auraient pas dû advenir ».
Lors du point de presse qui a suivi, N. Pashinyan a effectivement confirmé que Davtian avait été limogé parce qu’il avait reçu la veille dimanche son fils pour une fête de mariage en infraction avec les règles de l’état d’urgence. Il a aussi semblé faire partager la responsabilité de cette infraction aux chefs de la police et du SSN pour ne pas avoir empêché le mariage. « Dans des situations de crise, on en vient à un point où la discipline, l’ordre et l’exécution sans faille et inconditionnelle des actions préconisées dans les discours des dirigeants du pays prévalent sur tout le reste », a souligné le premier ministre. Selon le quotidien « Hraparak », il y avait une centaine d’invités au mariage en question, et les règles de distanciation sociale préconisées par le pouvoir n’y auraient guère été respectées. Une commission gouvernementale chargée de faire appliquer l’état d’urgence a appelé dans la matinée à se pencher sur la légalité de ce mariage, et à étudier la responsabilité de la famille du général si nécessaire, autrement dit en cas de « cluster » du coronavirus.
« Nous sommes tous égaux devant la loi, et si j’ai commis quelque violation, j’en porterait sans doute la responsabilité », a déclaré le général Davtian dans une déclaration publiée peu après son limogeage, en ajoutant :« Bien sûr, je suis convaincu qu’il n’y a eu aucune violation, mais laissons les autorités compétentes en décider… » Le général Davtian avait été nommé chef d’état-major des armées peu après la « Révolution de velours » qui porta M. Pashinyan au pouvoir en mai 2018. Cette série de limogeages intervient alors qu’un nombre croissant de responsables de l’opposition, dont Gaguik Tsaroukian, le leader d’Arménie prospère (BHK), la 2e formation du Parlement, accusent le premier ministre d’avoir échoué dans la lutte contre l’épidémie de coronavirus et demandent sa demission. Mais il est peu probable que ces mesures calmeront les critiques visant Pachinian, qui peut compter quant à lui sur le soutien indéfectible de sa majorité parlementaire rassemblée dans l’alliance Im Kayl (Mon Pas). Les responsables de la sécurité limogés passent en effet pour des fusibles, et leur disgrâce ne fait que renforcer les accusations des détracteurs du gouvernement selon lesquels M. Pashinyan a levé trop tôt un confinement qui aurait été appliqué avec un certain laxisme par les autorités et qu’il refuse d’assumer l’échec de sa politique de lutte contre l’épidémie qui s’est propagée de manière inquiétante depuis la réouverture des entreprises, dès la mi-avril, puis de tous les commerces, cafés et restaurants le 4 mai, et tend à se décharger sur les Arméniens, qui n’auraient pas fait preuve du sens des responsabilités sur lequel repose désormais la lutte contre le coronavirus.
Pourtant, alors que les chiffres des contaminations ne cessent d’augmenter, pour dépasser la barre des 13 200 lundi contre 1500 à la mi-avril et quelques dizaines en début de confinement, en mars, Pachinian continue à résister aux appels pressants, y compris des autorités sanitaires arméniennes, en faveur d’un nouveau confinement, et privilégie la santé économique plutôt que la santé publique. Et il fait porter la responsabilité de ce regain de l’épidémie sur les comportements non civiques des Arméniens, auxquels le premier ministre Pashinyan n’a pourtant pas donné le meilleur exemple en se montrant lui-même sans masque pendant plusieurs semaines, avant d’annoncer qu’il avait été infecté, ainsi que toute sa famille, par le Covid-19, dont il aurait été guéri après une semaine d’isolement.
Au-delà, cette série de limogeage dans les organes sécuritaires du pays traduit peut-être une difficulté de Pashinyan à partager les pouvoirs régaliens avec des personnalités qui auraient sa confiance, et ce bien avant la crise du coronavirus. En 2019 en effet, l’ancien tout puissant chef du SSN, Arthur Vanetsian, qui passait pour son homme lige, avait été limogé, en même temps que le chef de la police, sans motifs clairs, mais les tensions qui ont surgi entre Pachinian et Vanetsian, qui a créé son parti d’opposition, traduisent un certain malaise dans les relations entre le chef de l’exécutif et les responsables des forces de l’ordre.