Il est temps pour nous de déconfiner notre économie et notre société et, probablement, les esprits avec. Alors que le bilan de cette crise sanitaire s’ouvre, la vague des répercussions économiques approche et nous devons, dès aujourd’hui, anticiper le troisième temps de cette crise, qui sera numérique.
Tout au long de la crise, le numérique est devenu la ligne de vie de notre société et de nos entreprises. Qu’il s’agisse d’interagir avec ses proches, de permettre aux chaînes d’approvisionnement de maintenir une activité essentielle ou encore d’optimiser la gestion opérationnelle de la crise, le numérique a fait la preuve de son caractère stratégique et vital, tout en démontrant sa résistance aux chocs. La numérisation que nous connaissions avant la crise va désormais s’amplifier, assurons-nous que ce soit pour le meilleur.
En effet, du meilleur au pire, il n’y a qu’un pas, et nous ne devons pas le franchir. La crise a mis en lumière l’importante dépendance française et européenne aux infrastructures, applications ou solutions numériques de pays tiers, tant au niveau de la capacité d’accès à ces solutions que de leur cybersécurité. Cela doit nous interpeller et nous conduire à réfléchir aux conséquences de notre absence de maîtrise sur l’ensemble des maillons des chaînes de valeur du numérique. Qu’adviendrait-il si nous nous retrouvions privés de tout ou partie de notre système nerveux ?
Il est donc urgent de repenser nos priorités et de placer la sécurité numérique au cœur de notre stratégie. Le numérique est partout et déploie ses applications dans tous les domaines. Vision transversale et action globale deviennent alors les meilleurs outils d’une véritable transformation numérique de la société.
Déconfiner les esprits, c’est réussir à ne plus penser et agir en silos. Il faut appréhender la confiance numérique comme un tout, et non comme une addition de mesures sectorielles. Aujourd’hui, souveraineté numérique et autonomie stratégique en Europe sont au cœur de tous les débats politiques. Il nous faut avoir une véritable action stratégique nationale et européenne pour bâtir les conditions d’une souveraineté́ technologique ancrée sur nos domaines d’excellence industriels et académiques.
Bien sûr, reprendre le contrôle sur l’ensemble de la chaîne de valeur n’appelle pas une politique d’achat exclusivement nationale ou européenne, mais suppose, pour les composants clés, de s’équiper avec des produits et solutions de confiance et garantir qu’ils pourront être utilisés conformément à leur destination. Cela implique d’atteindre un niveau d’excellence mondial rendant la technologie européenne incontournable sur certains éléments afin de garantir une position stratégique dans les situations de dépendance mutuelle. La concrétisation du marché unique numérique devient donc vitale.
L’État doit ainsi s’engager sans délai dans une politique inclusive d’éducation des citoyens, tant pour les usages personnels que professionnels, mais aussi de formation des professionnels du secteur. Ce rehaussement général des compétences est un prérequis essentiel pour notre cybersécurité collective. La compréhension du monde numérique est un outil de souveraineté comme d’employabilité. Pour rappel, l’OCDE estime que 33 % des emplois seront impactés de façon brutale par les mutations numériques. S’y préparer aujourd’hui, c’est assurer notre autonomie demain.
L’identité numérique est le premier maillon de cette reconquête. S’assurer qu’émetteur et récepteur sont bien ceux qu’ils prétendent, que le message transmis est bien celui qui a été émis, est la base de toute sécurité. C’est ainsi qu’il nous faut créer de la confiance, là où règne aujourd’hui la défiance. Cette identité numérique s’applique en premier lieu à l’identité régalienne. L’état civil est dans le cyberespace européen le terrain de jeu d’acteurs sur lesquels nous n’avons aucun contrôle. Se réapproprier l’identité numérique, c’est se réapproprier l’exercice du droit, outil de souveraineté. De plus, au-delà de l’aspect régalien, chacun s’identifie quotidiennement pour de nombreux usages numériques. Il est essentiel, ici encore, d’assurer un niveau adapté de sécurité à tous ces processus d’identification et d’authentification, tout en maintenant leur simplicité d’utilisation.
Les données, tant personnelles qu’industrielles, sont le deuxième maillon stratégique de notre chaîne de souveraineté. Au cœur de la création de valeur, elles sont transmises instantanément et localisées en tout point du globe, bouleversant ainsi les notions de frontières et de juridiction. Plusieurs États, capitalisant sur leur domination technologique, cherchent à étendre leur influence en marge du droit international. L’enjeu géopolitique est majeur et l’influence de chaque État se mesure désormais à sa capacité à maîtriser les technologies et les standards qui sous-tendent le numérique et ses applications. Nous pensons naturellement aux défis posés par l’informatique quantique, la cryptographie, la 5G, la nanoélectronique, l’intelligence artificielle, la blockchain, le cyber-maritime, le spatial… La puissance est là, dans le cyberespace et sur ces technologies, et nombreux sont les gouvernements qui l’ont compris.
Enfin, la cybersécurité est le troisième maillon essentiel d’un numérique de toute confiance. Les Européens doivent assurer à leurs citoyens une numérisation de toutes les activités sans explosion des risques ni exposition déraisonnée aux menaces et aux attaques, toujours plus sophistiquées. La connectivité croissante des activités, des personnes, des territoires et des objets doit impérativement s’appuyer sur nos atouts historiques et être pensée et coordonnée au niveau européen. L’enjeu est crucial.
Les crises majeures ont pour effet d’accélérer des dynamiques préexistantes. Beaucoup de choses ont été faites ou sont en cours dans notre pays, et en Europe. Sur l’identité numérique, la cybersécurité et la maîtrise des données, nous avons de solides bases sur lesquelles nous pouvons utilement construire la voix (et même une voie) européenne. Pour autant, il est désormais primordial d’engager l’effort et de mettre ces différentes initiatives en cohérence. Cette cohérence conditionne à la fois l’efficience des futurs développements mais aussi leur sécurité. Anticipation et résilience doivent guider ces réflexions.
Par conséquent, la création d’un ministère du Numérique, de plein exercice, déployant une action interministérielle en lien avec l’ensemble des Ministères, refléterait l’omniprésence du numérique. Cette synergie est indispensable à la conduite d’une action efficiente, dans notre contexte budgétaire contraint. La priorité des priorités sera d’y regrouper les initiatives déjà existantes et de les intégrer dans cette stratégie nationale et européenne, tant les enjeux dépassent le cadre national. Dans cette stratégie articulée autour du triptyque sécurité, souveraineté et influence, ériger l’indépendance technologique sur les briques essentielles de la chaîne de confiance sera le premier pilier de notre réussite.
Nous, Parlementaires, start-up, PME et ETI et acteurs du numérique, croyons en la possibilité d’une République numérique de confiance et inclusive, fondée sur les deux piliers que sont les Libertés publiques et individuelles et la Sécurité. Ce projet s’étend par nature à l’ensemble des actions publiques et des activités privées. Nous disposons de tous les atouts industriels et d’une excellence reconnue dans plusieurs domaines essentiels pour faire entrer notre pays dans un cyberespace maîtrisé. Dans cet espace, une vision holistique de la confiance numérique nous permettra de faire valoir nos valeurs et notre souveraineté, et de les défendre. C’est à cette condition que notre société sortira grandie de cette crise, armée pour la prochaine et prête à y faire face.