Municipales : en Corse, l’hégémonie nationaliste

Certains y verront la fin définitive d’une époque. D’autres, la confirmation d’une dynamique de conquête qui ne s’est pas estompée malgré l’exercice du pouvoir. Quoi qu’il en soit, le second tour des élections municipales a sonné comme un nouveau « coup de tonnerre » dans le monde politique corse.

En remportant une série de victoires dimanche soir, les nationalistes, aux commandes de la région depuis 2015, ont fait taire leurs opposants qui entrevoyaient déjà une forme d’usure et la fin d’un long état de grâce. Le message issu des urnes a été tout autre. Ces municipales pourraient bien accroître leur domination sur la vie politique insulaire.

Symbole de cette nouvelle poussée nationaliste, Porto-Vecchio, l’un des bastions historiques de la droite dans l’extrême sud de l’île, est « tombé » ce dimanche soir. Candidat pour la quatrième fois consécutive dans cette forteresse acquise depuis près d’un siècle à la famille Rocca Serra, l’autonomiste Jean-Christophe Angelini signe la plus tonitruante des victoires de ce 28 juin en sonnant le glas de la dynastie. Avec 45 % des voix, l’héritier du clan Rocca Serra, Georges Mela, a perdu les rênes du fief familial, troisième ville de l’île et haut lieu du tourisme insulaire. Un séisme à l’échelle de la politique corse. « Ce soir, un siècle d’histoire arrive à son terme, a triomphé Jean-Christophe Angelini, fort du résultat des urnes. C’est une victoire qui vient de loin. La fin d’une époque. »

L’omniprésence de Gilles Simeoni

À Bastia, le vent électoral a soufflé dans la même direction. Dans la deuxième ville de l’île, chef-lieu de la Haute-Corse, le maire sortant, le nationaliste Pierre Savelli, allié à une partie de la gauche et de la droite, a été élu avec près de 50 % des suffrages. Ce vieux militant de la cause autonomiste a réussi son pari de conserver ce nouveau fief nationaliste dans une triangulaire face à une coalition gauche-droite conduite par un nouveau venu en politique, Jean-Sébastien de Casalta (39, 7 %), et une autre liste de gauche. La partie était loin d’être gagnée. Avec à peine 30,4 % des suffrages au soir du premier tour, le 15 mars, le maire sortant, en ballottage défavorable et sérieusement bousculé, a dû réaliser un tour de force pour s’imposer. Le second round lui a permis de renverser la vapeur.

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Il faut dire que la majorité sortante jouait gros dans cette ville, autrefois bastion historique du Parti radical de gauche, arrachée comme un symbole au clan Zuccarelli par Gilles Simeoni en 2014. À peine assis dans le fauteuil de maire, ce dernier avait quitté Bastia pour prendre les rênes de la région l’année suivante. Longtemps présenté comme l’éternel « maire remplaçant », intronisé au départ de son mentor, le 7 janvier 2016, Pierre Savelli a conquis sa légitimité face au suffrage universel. Malgré l’omniprésence de Gilles Simeoni dans cette campagne, en septième position sur la liste, le maire sortant consolide son assise. Sans alliance entre les deux tours et en dépit des divisions internes, les simeonistes ont fait la démonstration qu’ils n’avaient pas besoin du soutien de leurs partenaires indépendantistes pour conserver la ville. Ils devraient même bénéficier de la gouvernance de la communauté d’agglomération de Bastia, la deuxième plus importante de l’île. Mais ce n’est pas tout. Les observateurs n’ont pas manqué, pendant la campagne, pour dire qu’une défaite des nationalistes à Bastia hypothéquerait sérieusement leurs chances de conserver la région. Sans compter les remous que l’élection de Jean-Christophe Angelini à Porto-Vecchio, engagé de longue date dans une bataille de leadership avec Gilles Simeoni, n’aurait pas manqué de provoquer au sein du mouvement nationaliste. C’est dire si l’enjeu de cette municipale dépassait largement les frontières de la ville de Bastia.

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À neuf mois des élections régionales, les nationalistes, jusqu’alors en mal d’ancrage au plan local, se sont affirmés dimanche comme la première force politique de l’île en dépit des partis traditionnels qui comptaient sur un contexte de division pour mettre fin à leur ascension.

Après les succès, le temps des divisions

Si le premier tour du 15 mars, bien en deçà de leurs espoirs, avait été favorable à la droite, qui a conservé sans difficulté bon nombre de ses places fortes à Corte, Borgo, Sartène, Calvi, Ghisonaccia ou encore dans la première ville de Corse, à Ajaccio, le second a largement inversé le rapport de force. Plusieurs communes de moyenne dimension sont finalement tombées dans l’escarcelle nationaliste, comme Figari, acquise à Jean Giuseppi, l’un des proches conseillers du président de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni.

La dynamique générale confirme l’effondrement des partis traditionnels dans l’île et a fortiori d’une gauche quasiment disparue du paysage politique insulaire. Après leur série ininterrompue de succès « historiques », qui ont balayé les formations de droite et de gauche depuis les régionales de 2015 jusqu’aux législatives de 2017, au terme de quarante années passées dans l’opposition, les nationalistes tiennent la corde.

Il n’empêche, ces nouvelles victoires n’effacent pas les relations difficiles entre les deux hommes forts de leur mouvement, Jean-Christophe Angelini et Gilles Simeoni. Ni même les dissensions de plus en plus visibles entre ce dernier et son allié Jean-Guy Talamoni, jamais avare de critiques sur la politique conduite par le patron de l’exécutif régional. Malgré l’état de grâce qui se poursuit dans les urnes et s’éternise même plus longtemps que d’ordinaire, les nationalistes savent que le bilan de ces six dernières années est mitigé et qu’ils doivent se confronter à l’exigence de résultat. Jamais un mouvement politique n’avait en effet concentré autant de pouvoir dans l’île. « La confiance qui nous a été manifestée nous engage et nous oblige, nous avons désormais tous les outils pour construire notre pays », avait déclaré, le ton grave, Gilles Simeoni au soir des territoriales de 2017, qui actaient la domination des nationalistes sur la collectivité de Corse, super-entité unique en France, fruit de la fusion des deux départements insulaires et de la région.

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