Des conversations privées entre Donald Trump et ses homologues russe, turc et français

Emmanuel Macron, après Erdogan, est le chef d’État qui s’est le plus entretenu par téléphone avec Donald Trump ces dernières années. Sans obtenir quoi que ce soit de concret, si l’on en croit l’enquête de CNN menée par Carl Bernstein, le vétéran du journalisme américain, qui a mis à jour le scandale du Watergate dans les années 1970.

Le président français a tenté de le convaincre de changer de position sur l’accord sur le nucléaire iranien et sur les questions de climat. En vain. « Macron, en général, n’a abouti à rien sur le fond alors que ses requêtes constantes ont fini par irriter Trump », écrit Bernstein. En retour, le président français a subi une véritable « flagellation » verbale. Le président américain n’a cessé de lui faire la leçon et de le sermonner sur la contribution de la France au budget de l’Otan, sur sa politique d’immigration trop laxiste, sur les échanges commerciaux…

Le sort du président français n’est rien en comparaison avec ce qu’ont dû subir Theresa May, l’ex-Première ministre britannique, et Angela Merkel, la chancelière allemande. Selon Bernstein, Donald Trump a passé son temps à insulter les deux femmes et à les humilier, de manière « quasi sadique ».

Donald Trump a accusé Theresa May d’être faible, « une imbécile », de manquer de colonne vertébrale sur le Brexit ou l’Otan, ce qui a rendu la Britannique « agitée et nerveuse ». « Il l’a clairement intimidée et c’était fait exprès », assure un membre de l’administration. Quant à Merkel, il l’a traitée de « stupide » et l’a accusée d’être « à la solde des Russes ». D’après un diplomate allemand, les conversations étaient « tellement inhabituelles » que Berlin a pris des mesures particulières pour éviter qu’elles ne fuitent. Face à de telles attaques, la chancelière est restée imperturbable, se contentant de lui opposer les faits.

L’enquête, qui s’appuie sur des sources anonymes et ne donne pas de détails très précis sur les conversations confidentielles, montre tout de même un comportement récurrent peu présidentiel. Lors des centaines de coups de fil avec des leaders étrangers, Donald Trump est souvent très mal préparé aux discussions, faute d’avoir lu les dossiers et écouté les briefings de ses conseillers. S’il se comporte de manière agressive avec ses alliés, il a tendance à se faire manipuler par les dictateurs. À tel point qu’une partie de son entourage le considère comme une menace à la sécurité nationale.

Une vision qui confirme les descriptions de John Bolton, l’ancien conseiller à la sécurité nationale, qui vient de publier un livre à charge contre le président. Une des sources de Bernstein décrit ces coups de fil comme des « abominations –, qui, si elles fuitaient, obligeraient même les pontes du Parti républicain à lui retirer leur confiance.

Selon Bernstein, plusieurs anciens conseillers de Trump considèrent qu’il « délire ». Ses conversations ressemblent à ses briefings sur le coronavirus : il digresse dans tous les sens, parle surtout de lui, se fait mousser, fait des déclarations à l’emporte-pièce, ressasse les bobards qu’on trouve sur Internet et reprend les opinions des animateurs d’émissions de Fox News…

Il s’est régulièrement vanté auprès de Mohammed ben Salmane, le prince héritier saoudien, et de Kim Jong-un, le dictateur nord-coréen, de sa richesse, de son génie, de ses réalisations « brillantes » et de la « bêtise » de ses prédécesseurs George Bush et Barack Obama. Il a aussi tendance à combiner continuellement ses intérêts personnels – particulièrement à des fins de réélection et de vengeance contre des ennemis politiques – avec l’intérêt national.

Ce qui était déjà flagrant dans le coup de fil avec le président ukrainien qui a entraîné la procédure d’impeachment. Donald Trump lui demandait d’enquêter sur la famille Biden en espérant qu’il trouverait des informations compromettantes.

S’il attaque régulièrement ses alliés traditionnels, il est tout miel, en revanche, avec les dictateurs de tout poil. Particulièrement avec Recep Tayyip Erdogan, qui l’appelle deux fois par semaine !

C’est le chef d’État avec lequel il s’est le plus entretenu. L’homme fort d’Ankara lui a demandé des faveurs, parmi lesquelles d’intervenir pour aider une banque publique turque dans le collimateur de la justice américaine. Il l’a influencé aussi sur la politique au Moyen-Orient. À la consternation de ses conseillers, le président américain a ainsi retiré ses troupes de Syrie, ce qui a permis, entre autres, à la Turquie d’attaquer les Kurdes, pourtant alliés de Washington.

Mais le plus inquiétant est la manière dont il encense Vladimir Poutine. Dans leurs conversations, il cherche à « courtiser » le leader russe et à gagner son admiration et son approbation. Poutine le « domine », affirme ainsi un haut responsable de l’administration, le comparant à un grand maître d’échecs face à un Trump petit joueur de dames. « Ce dernier a perdu l’avantage gagné de haute lutte pendant la guerre froide, poursuit-il, en donnant à Poutine et à la Russie une légitimité qu’ils n’ont jamais eue. »