Une plainte pour discrimination a été déposée contre l’Université de Sherbrooke à la Commission des droits de la personne par une professeure de la faculté de médecine, qui estime qu’on lui a refusé un poste de professeure agrégée à cause d’un congé de maternité, suivi d’un handicap temporaire.
La genèse de cette histoire remonte à janvier 2018. Le vice-doyen à la réadaptation, Michel Tousignant, refuse à l’ergothérapeute Manon Guay le rang de professeure agrégée auquel elle estime avoir droit. En 2018, Mme Guay avait effectivement largement atteint dans les temps les cibles de performance exigées pour cette promotion, démontrent plusieurs documents que nous avons obtenus. Certains volets de son travail ont même été jugés « exceptionnels » dans une évaluation.
« Le professeur Tousignant a explicitement discrédité mon travail à la lecture de mon dossier de demande de promotion au rang de professeure agrégée parce que j’ai eu une grossesse et un handicap temporaire », écrit Mme Guay dans une lettre envoyée au département des relations de travail et de la rémunération de l’Université de Sherbrooke, que nous avons obtenue.
Mme Guay est ergothérapeute depuis 1992. En 2006, elle a commencé sa carrière universitaire comme chargée de cours. En 2012, elle a été embauchée comme professeure. Depuis cette embauche, elle a eu un retrait préventif, une grossesse, suivie d’une dépression. Au cours de cette période, elle a travaillé, a supervisé des étudiants et a même publié dans des revues scientifiques. Elle est revenue au travail à temps plein au début de 2018.
Le fait de retarder son agrégation signifie pour Mme Guay un manque à gagner salarial qui se situera entre 40 000 $ et 75 000 $ à l’âge de la retraite.
« L’écart salarial entre les femmes et les hommes membres d’un même corps professoral est documenté dans les écrits scientifiques et mon histoire illustre comment la discrimination peut s’opérer en contexte universitaire », a indiqué Mme Guay lorsque nous l’avons jointe pour obtenir ses commentaires.
Mme Guay a utilisé, sans succès, tous les mécanismes internes pour faire prévaloir son point de vue. Elle a finalement porté plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). La plainte a été enregistrée en janvier 2019 par la Commission. Comme les plaintes sont strictement confidentielles, la CDPDJ refuse de confirmer que Mme Guay a bel et bien porté plainte, mais nous avons obtenu des documents qui le démontrent.
L’Université de Sherbrooke n’a pas souhaité commenter le cas particulier de Mme Guay, « afin de ne pas nuire au processus en cours ». Cependant, le vice-recteur aux ressources humaines, Jean Goulet, a souligné par courriel que l’Université « n’encourage aucune pratique discriminatoire, sous quelque forme que ce soit, et désavoue toute manifestation de discrimination ». M. Goulet rappelle que l’établissement a convenu avec ses syndicats « de l’application rétroactive de certaines mesures dans les cas de maternité, ce qui permet d’éliminer en partie les retards qui peuvent être vécus à la suite d’une grossesse ».
Au centre du litige entre l’Université et Mme Guay : la définition de la « vie universitaire ». Ce concept est utilisé afin de définir le temps qui doit s’écouler avant qu’un enseignant puisse déposer un dossier pour l’agrégation, puis la titularisation. À la suite de la plainte déposée par Mme Guay, le vice-recteur aux ressources humaines, Jean Goulet, a demandé à la faculté de médecine de mieux définir le terme de vie universitaire « afin que d’autres n’aient pas à vivre l’ambiguïté que vous avez vécue ».
Or, en juin, la faculté, en collaboration avec l’Association des professeurs de la faculté de médecine, a adopté une nouvelle définition, qui stipule que c’est une période où le professeur participe de façon « active et soutenue » aux missions de recherche et d’enseignement, ce qui constituerait une « activité normale » de professeur. Mme Guay n’en est pas satisfaite.
« Puisque la définition retenue est toujours pour moi ni claire ni sans ambiguïté, j’aimerais savoir quelle est la durée de ma vie universitaire ou pendant combien de temps ai-je eu une activité “normale” de professeure. Que dois-je faire, ou ne pas faire, pour avoir une participation active et soutenue à partir d’aujourd’hui ? Qui à l’université jugera de ceci, quand et comment ? », conclut-elle dans sa lettre.
En avril 2019, près de 300 professeurs de l’Université de Montréal dénonçaient la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui frappait toujours, selon eux, leur établissement.
Selon les données qu’ils présentaient à l’époque, les hommes étaient plus nombreux que les femmes à recevoir une prime, et les primes versées aux hommes étaient supérieures à celles d’une femme ; ils déploraient également le système de rémunération « opaque et nébuleux » en place à l’université.
« Le système universitaire en est un de promotion et, sur tous les plans qui déterminent l’avancement en carrière, par exemple l’accès à des subventions et l’obtention de chaires de recherche, les femmes sont discriminées », faisait valoir Mélanie Laroche, professeure à l’Université de Montréal.
L’établissement avait pour sa part soutenu que ces réalités salariales étaient le reflet de la « pyramide démographique » de ses enseignants. Les hommes, plus nombreux dans le corps professoral, avaient commencé leur carrière plus tôt et étaient donc plus susceptibles de recevoir des primes.