« Aujourd’hui mieux vaut être Berlinois que Vichyssois! »: à l’image de leur maire, les habitants de la cité thermale s’indignent, 80 ans après, d’être toujours assimilés au régime collaborationniste de Philippe Pétain et aspirent à tourner la page.
« Il m’est déjà arrivé d’être traitée de ‘collabo’ parce que j’ai dit que j’habitais Vichy. C’est une casserole que nous traînons », témoigne Sylviane Allix, une retraitée née à Vichy après la guerre.
Depuis qu’il a été élu en 2014, le maire Frédéric Aguilera (LR) en a fait son combat et réagit systématiquement, en particulier sur les réseaux sociaux, lorsque sa ville est associée à l' »Etat français », nom officiel du régime instauré le 10 juillet 1940.
Emmanuel Macron lui-même en a fait les frais. En évoquant « les heures sombres de Vichy » à l’occasion de la commémoration du débarquement en Provence en août 2019, il avait déclenché la colère de l’élu.
« C’est tellement plus simple de faire porter ce fardeau de la mémoire à une petite bourgade de province en utilisant l’expression +régime de Vichy+. Pourquoi on nous demande à nous de porter ce fardeau? C’est à la France de le porter », affirme M. Aguilera à l’AFP.
Une cérémonie doit commémorer le geste républicain des 80 députés de l’Assemblée nationale, réunie à l’opéra de la ville, qui ont refusé de voter les pleins pouvoirs à Pétain.
Pour le maire, « ce serait fort, symboliquement, que le président Macron vienne ».
Les rives aménagées de l’Allier, où l’on croise joggeurs et cyclistes à toute heure du jour, offrent une image éloignée des clichés décrivant Vichy comme une cité endormie peuplée de fantômes.
Dans le parc des Sources, où bat le coeur de cette ville de 25.000 habitants, des groupes d’adolescents discutent sous le soleil de juin, à côté de familles profitant de l’ombre des platanes.
« C’est une ineptie de penser que Vichy n’a été que le régime de Pétain. On ne va pas gommer l’Histoire, mais nous sommes en 2020 et il faut dépasser cela, surtout pour les générations à venir », estime Evelyne Boguszewski, une native de la ville croisée dans les allées.
A quelques mètres se dresse l’hôtel du Parc, façade colorée, allure haussmannienne.
Rien ne laisse deviner que Pétain avait ici ses bureaux. Au troisième étage. L’appartement a été racheté par une association qui milite pour la réhabilitation du maréchal.
La ville d’eau avait été choisie comme capitale provisoire en raison de sa capacité hôtelière permettant d’accueillir ministères et fonctionnaires et de son central téléphonique ultra-moderne.
Une discrète plaque a été installée sur le trottoir en face de l’entrée. Elle rappelle que « le 26 août 1942, le gouvernement de l’Etat français, installé dans cet immeuble à Vichy, a déclenché sur tout le territoire de la zone libre une gigantesque rafle de juifs étrangers ».
Mais l’histoire de cette période est peu apparente à Vichy, qui préfère mettre en avant le Second empire à l’origine de sa prospérité. Une seule autre plaque évoque ces années, sur la façade de l’opéra: elle liste les noms des 80 députés dissidents.
« Vichy a choisi de réécrire son histoire, laissant de côté tous les épisodes négatifs », souligne l’historienne Audrey Mallet, originaire de la cité thermale, dans « Vichy contre Vichy, une capitale sans mémoire ».
La ville « refuse d’affronter son passé contrairement à d’autres comme Nuremberg, dont le nom a aussi été entaché par l’Histoire », explique-t-elle à l’AFP, plaidant pour « un lieu spécifique consacré à cette période ».
« Cette obsession de l’expression +régime de Vichy+ est contreproductive et seuls les Vichyssois pensent qu’on les regarde d’un mauvais oeil », ajoute-t-elle.
L’été, les deux visites de l’office de tourisme consacrées chaque semaine au régime font le plein: « les gens veulent voir où cela s’est passé. C’est toujours étonnant de constater que nous refusons du monde pour ces visites », explique Nathalie Mesurolle, guide.
Alors pourquoi ce passé est-il si peu visible ? « Je veux bien mettre des plaques sur tous les hôtels mais l’histoire de la ville ne se résume pas à ça », balaye Frédéric Aguilera qui se défend d’être « dans le déni ».
Un musée sur les 2.000 ans d’histoire de la cité, incluant cette période, doit voir le jour, rappelle-t-il.
Sur la promenade récemment aménagée de la rive gauche de l’Allier se dresse une pastille géante, spécialité de la ville. Comme un rappel que Vichy ne se limite pas à cette funeste période.