Le chef du gouvernement tunisien Elyes Fakhfakh, fragilisé par une affaire de conflits d’intérêts, a présenté sa démission le 15 juillet 2020 sous la pression du parti d’inspiration islamiste Ennahdha, ouvrant la voie à de nouvelles négociations épineuses pour former un gouvernement.
Cette démission intervient à un moment où la Tunisie, largement épargnée par le coronavirus, se trouve frappée de plein fouet par les retombées économiques et sociales de la fermeture des frontières, suscitant notamment des mobilisations dans le sud de son territoire.
Pour éviter au pays des conflits entre institutions, le chef du gouvernement Elyes Fakhfakh a présenté sa démission au président Kaïs Saïed, afin de lui ouvrir un chemin nouveau pour sortir de cette crisedans un communiqué
Elyes Fakhfakh, 47 ans, chef d’un parti social-démocrate sans élu qui avait prêté serment le 27 février, va continuer à gouverner en attendant qu’un successeur soit nommé. Il aura effectué l’un des plus courts mandats depuis la révolution de 2011 qui a balayé le régime de Zine el-Abidine Ben Ali. La Tunisie, l’un des seuls pays touchés par les soulèvements du Printemps arabe à continuer sur la voie de la démocratisation, a depuis connu une valse de gouvernements, qui n’ont pas réussi à répondre aux attentes sociales de la population.
Ennahdha, qui compte six ministres au gouvernement, avait dans la journée déposé une motion de défiance contre le Premier ministre, mettant en avant les soupçons de corruption pesant sur lui. Ces six ministres, dont celui de la Santé Abdellatif Mekki qui a orchestré la lutte contre le Covid-19, ont été limogés et remplacés par des intérimaires, ont indiqué les services du Premier ministre. Elyes Fakhfakh, ancien cadre d’une filiale du groupe énergétique français Total, est sous le coup d’une enquête parlementaire, accusé de ne pas avoir cédé la gestion de ses parts dans des sociétés d’assainissement qui ont remporté d’importants marchés publics ces derniers mois.
Pour Ennahdha, il s’agissait aussi de reconfigurer une coalition gouvernementale dans laquelle cette formation se sentait « marginalisée », selon le politologue Chokri Bahria. En effet, Ennahdha, bien que principal parti du Parlement, n’a remporté que 54 sièges sur 217 lors des législatives d’octobre, son plus faible score depuis la révolution de 2011. Conséquence : le parti avait échoué cet automne à réunir une majorité autour du chef de gouvernement de son choix, après des mois de négociations ardues.
Cela a laissé le champ libre au président Kaïs Saïed, un farouche indépendant, qui a nommé comme Premier ministre Elyes Fakhfakh, entouré d’une coalition revendiquant les valeurs de la révolution, et peu encline aux compromis partisans chers à Ennahdha.
Ennahdha a été obligée d’accepter (ce gouvernement de coalition) pour éviter de nouvelles élections. Elle se retrouve dans un exécutif avec lequel elle a du mal à composer, et au sein duquel elle ne pèse pas beaucoupà l’AFP
D’autant plus que certains blocs parlementaires participant au gouvernement aux côtés d’Ennahdha se sont retournés contre ce parti, votant des textes qui mettent en difficulté la formation conservatrice et son chef Rached Ghannouchi, président du Parlement.
Cette démission place à nouveau le président Kaïs Saïed au centre du jeu politique : selon la présidence, qui s’appuie sur l’article 89 de la Constitution, il est désormais chargé de désigner un nouveau Premier ministre dans un délai de dix jours. Cet article stipule que le président de la République doit désigner une personnalité à même de gouverner après « consultations avec les partis politiques, les coalitions et les groupes parlementaires ». Cette personne aura elle-même un mois afin de convaincre la majorité absolue des députés d’approuver son équipe.
Une gageure étant donné que le Parlement élu en octobre est composé d’une myriade de partis, dont certains sont à couteaux tirés. Ni Ennahdha et ses rares alliés, ni le pôle qui s’était constitué autour d’Elyes Fakhfakh ne peuvent rassembler facilement une majorité.