« Parias » : Un ouvrage sur le Donbass est apparu en France

Yegan Mazandarani est un photographe franco-iranien, venu au Donbass en septembre 2019. Un an plus tard apparaît son ouvrage «Parias» qui témoigne de la vie locale à travers une série de photographies.

Le public est au rendez-vous à « EST galerie » au 76 rue St-Maur, Paris XI, le 16 Juillet 2020 © William Keo

Le photographe revient sur son parcours dans une interview exclusive pour l’agence News Front. (Version russe)

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Yegan bonjour,

Comment est né le projet « Parias » ?

Le projet est né au fur et à mesure du temps. C’est mon ami William Keo qui a initié ce voyage et qui a eu l’idée de ce reportage. Nous avons décidé ensemble de documenter le Donbass côté RPD afin d’aller « de l’autre côté », du côté de ceux qu’on appelle parfois dans les médias français des « terroristes » car nous trouvions cela plus intéressant. Nous voulions aller voir par nous-mêmes ce qu’il se passe là-bas, et d’un point de vue journalistique la zone est très peu couverte alors c’était plus intéressant encore.

Le projet « Parias » naît ensuite car moi-même à cette époque je me mettais à l’écart des autres. Je suis parti pour mieux me retrouver. J’ai rencontré dans le Donbass d’autres « Parias », qui m’ont rappelé les gens que j’avais rencontré en Iran : des personnes finalement qui vivent leur vie, qui ont une histoire différente, un système différent, qui sont en quelque sorte très différents de ceux que je côtoie en France par exemple, mais qui ont le droit à cette différence, et qui malgré tout sont montré du doigt par une norme qui ne les connait pas. C’est souvent la méconnaissance le problème, la distance, l’incompréhension.

J’ai voulu simplement essayer, avec un peu de douceur dans mes images ou mon propos, effacer quelques différences et pointer un dénominateur commun : l’humanité qu’il y a en chacun de nous.

Pour clarifier mon propos, je citerai Pierre Bourdieu dans Contre-feux : « je préfère combattre résolument tous ceux qui, dans leur désir d’aller toujours au plus simple, mutilent une réalité historique ambiguë, pour la réduire aux dichotomies rassurantes de la pensée manichéenne (…). Il est infiniment plus facile de prendre position pour ou contre une idée, une valeur, une personne, une institution, ou une situation, que d’analyser ce qu’elle est en vérité, dans toute sa complexité. »

 

Qu’aviez-vous imaginé pouvoir découvrir sur place lors de votre passage de frontière ?

Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre et je n’avais aucun véritable objectif si ce n’est faire de la photo. J’écris toujours pour moi et n’avais au départ pas l’envie de publier mon carnet.

 

Quel a été votre premier sentiment à votre arrivé dans la république ?

Pour être honnête : le soulagement ! Car le voyage a été très difficile et nous avons cru plusieurs fois que nous n’arriverions jamais à Donetsk. Mais aussi l’appréhension car c’était ma première zone de guerre et il y a comme un voile qui pèse sur la ville.

 

Avez-vous suivi un « programme » préalablement organisé pour votre séjour ?

Pas du tout, mais je pense savoir très bien me débrouiller un peu partout. Je parle six ou sept langues (à différents niveaux) dont un peu de russe car j’ai habité au Kazakhstan pendant un an et je suis un voyageur plutôt chevronné. J’ai eu l’habitude de passer par des endroits qu’on recommande peu à un voyageur seul !

 

Qu’est-ce qui vous a marqué, en bien comme en mauvais ?

Le plus dur a été les enfants des clubs militaires ou les personnes âgées qui vivent près des lignes de front. Les histoires de viols, les vies sacrifiées. Les gens qui continuent de vivre, qui essayent d’être heureux, de fonder une famille, d’avoir de l’espoir. La fougue, l’esprit de combat, le désespoir. Il y a beaucoup de choses, tellement de choses qu’il est difficile de se faire un avis, et finalement ce n’est pas mon rôle. Mon rôle a juste été d’essayer de transmettre honnêtement ce que j’ai vu, sans l’analyser, en laissant aux autres le soin de se faire leur avis. Si mon travail peut faire un peu de bien alors je suis ravi.

 

Quel type de gens avez-vous rencontrer sur place ?

Des gens comme vous et moi, comme j’en vois tous les jours, mais qui vivent un autre quotidien, très différent. C’est là le but de mon travail : que le lecteur essaye de s’identifier à des personnages du livre, qu’il en vienne à peut-être imaginer sa vie si un conflit pareil arrivait en France par exemple.

 

Que retenir de leurs témoignages ?

Trop de choses différentes pour le résumer ! Mais en tout cas que chacun a le droit à la parole, au respect, à l’écoute. Il y a déjà bien assez de haine et de mensonge dans le monde.

 

Avez-vous ressenti une certaine forme d’autorité, politique ou militaire à l’encontre des civils ?

« A l’encontre » je ne sais pas, je ne crois pas, après on sent tout de même la présence d’un parti central en guerre depuis plusieurs années. Pour être honnête je ne me suis vraiment pas focalisé là-dessus – c’est plutôt le cas de William Kéo. Mon travail à moi portait sur les individus.

 

Que pensez de la « menace russe » ?

Tous les pays du monde sont en guerre perpétuelle, quelle que soit la forme : guerre commerciale, culturelle, militaire, économique. Les alliances vont souvent de pair avec les intérêts dans notre monde. Nous n’avons pas aujourd’hui une tradition de coopération mondiale ce qui est bien dommage à l’heure où nous vivons en connaissance de notre passé et de nos voisins, à l’heure où le monde est devenu si petit et les habitants de la planète plus proches. Pour moi – bien que personne ne demande mon avis – ce n’est plus le temps des concurrences mais des compréhensions, des collaborations, des coopérations, des différences. Parler de « menace russe » ou de « menace américaine » n’a pas de sens pour moi, cela veut dire la même chose, la logique n’est pour moi pas la bonne. La vrai menace c’est la bêtise.

 

Avez-vous aujourd’hui une position particulière sur cette région ou avez-vous un regard neutre ?

J’essaye toujours de conserver un regard neutre, un regard de tolérance, un regard averti aussi, et un regard tourné vers la paix.

 

Votre voyage a-t-il modifié d’une quelconque manière cette dernière ?

Je ne connaissais rien du Donbass avant de faire ce voyage, donc mes connaissances ont bien évolué, mon regard n’a pas changé. De manière générale j’ai toujours de l’empathie pour mon prochain, que ce soit le sans-abris qui vit en bas de chez moi ou le civil qui subit une guerre. La seule chose qui a changé est que j’ai vu la guerre et la folie qu’elle représente. La guerre n’a pas de camp, elle sème la mort sans distinction.

 

Quel est l’approche global des Français quant à ce conflit au Donbass ?

Malheureusement le Donbass, bien qu’une région européenne, est très peu connu en France. Les médias n’en parlent pas, et les français n’y connaissent pas grand-chose à moins d’avoir étudié la question. Les raccourcis sont fréquents, et sans contre-information finalement il ne reste que les informations dispensées dans les grands médias, qui ne sont pas toujours complètes, objectives ou traitées avec suffisamment de profondeur.

 

Quelle importance attachez-vous aux relations entre la France et les pays de l’Est ?

Pour moi la France est un grand pays. Un pays qui s’est construit sur de belles valeurs et qui a toujours fait en sorte d’être indépendant, et d’avoir un regard tourné aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est. L’amitié franco-russe est en l’occurrence primordiale, elle existe et doit être sauvegardée. Mais c’est la puissance de la France comme organe de paix, comme pays diplomatique et comme terre de démocratie qui feront je l’espère sa force dans le futur.

 

Vous pouvez retrouver Yegan Mazandarani sur son site internet : yegan-mazandarani.com

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