Il y a eu l’essence iranienne, envoyée par bateaux au Venezuela. Puis sont arrivées les denrées destinées au premier supermarché iranien de Caracas qui vient d’ouvrir. Une inauguration en forme de défi lancé à Washington par le Venezuela et l’Iran, sous le coup de sanctions américaines.
Du miel, des dattes, des vêtements ou du papier toilette « made in Iran » : les clients vénézuéliens se déplacent en nombre jusqu’au supermarché, baptisé Megasis, inauguré le 30 juillet dans la capitale. Tous portent un masque sanitaire, rendu obligatoire en raison de la pandémie de coronavirus.
« Si un produit est bon, peu importe qu’il soit cubain, russe, chinois, gringo (américain) ou anglais », lance Matias, 62 ans, qui est venu faire des courses avec sa mère dans le magasin situé dans un quartier de la classe moyenne de Caracas.
Megasis propose les produits arrivés dans les cales du Golsan, un navire iranien qui a accosté au Venezuela le 21 juin. Dans les semaines précédentes, cinq bateaux iraniens, avec à leur bord 1,5 million de barils d’essence, étaient arrivés dans les ports du pays sud-américain pour pallier la pénurie chronique de carburants que connaît le Venezuela.
« En tant que pays sous le coup de sanctions, nous sommes complémentaires », faisait valoir Issa Rezaei, vice-ministre iranien de l’Industrie, lors de l’inauguration de Megasis. « Le Venezuela dispose de nombreux produits que nous n’avons pas en Iran et le Venezuela a certains besoins que nous pouvons satisfaire ».
Car Téhéran et Caracas entretiennent tous deux des relations houleuses avec Washington et sont sous le coup de sanctions de plus en plus draconiennes.
Le président américain Donald Trump taxe son homologue vénézuélien Nicolas Maduro de « dictateur ». Ses relations avec Téhéran se sont encore un peu plus tendues après le retrait unilatéral en 2018 de Washington de l’accord international sur le nucléaire iranien et le rétablissement de sanctions américaines contre la République islamique. Téhéran et Washington échangent régulièrement des invectives et s’accusent mutuellement de « terrorisme ».
Aujourd’hui, alors que la Chine et la Russie ont quelque peu réduit leur empressement à soutenir Nicolas Maduro, le soutien de Téhéran est crucial. L’Iran « est l’un des rares pays encore prêts à soutenir le Venezuela, contre de l’or, semble-t-il », poursuit Cynthia Arnson.
Preuve de l’intérêt stratégique du partenariat entre Caracas et Téhéran: le supermarché Megasis appartient à Etka, un consortium affilié au ministère de la Défense iranien.
Le magasin et ses 20 000 mètres carrés existaient bien avant d’arborer l’enseigne Megasis. A l’époque du défunt président Hugo Chavez (1999 – 2013), le magasin appartenait à la chaîne franco-colombienne Exito, avant que le dirigeant socialiste ne l’en exproprie en 2010.
D’abord rebaptisé Abastos Bicentenario (Entrepôts du Bicentenaire), le supermarché est intégré en 2016 au système CLAP, un programme gouvernemental qui permet de fournir des aliments à bas prix aux plus nécessiteux.
En confier l’exploitation à l’Iran « montre bien que toutes les expropriations que le chavisme a réalisées ont été des échecs », estime l’économiste José Manuel Puente.
Ana Maria Chavez, 29 ans, venait souvent faire ses courses à l’époque où le supermarché appartenait à l’enseigne franco-colombienne Exito. C’était d’ailleurs « mieux » à cette époque, selon elle.
Pourtant, remarque un vendeur, les portions de saumon chilien « individuelles » à trois dollars « se vendent très bien ».