Côte d’Ivoire : d’une mauvaise Constitution à l’autre

Voilà, c’est fait, Alassane Ouattara a été investi le 22 août 2020 en tant que candidat du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP).

À moins d’un revirement de situation, il se présentera à l’élection présidentielle du 31 octobre prochain, briguant ainsi un troisième mandat très controversé. Pourtant, tout avait relativement bien commencé. Alassane Ouattara avait annoncé à ses compatriotes et au monde entier qu’il partirait à la fin de ses dix années à la tête de l’État, comme le veut la Constitution. Pour preuve, Amadou Gon Coulibaly, son collaborateur le plus fidèle, avait été désigné comme dauphin. Mais le décès subit de celui-ci, le 8 juillet dernier a rebattu les cartes.

Le président est revenu sur sa décision dans son adresse à la nation, le 6 août, lors des fêtes de l’indépendance, pour des raisons de force majeure et afin de préserver les acquis de sa gouvernance. L’annonce a provoqué un tollé général dans l’opposition et a entraîné plusieurs manifestations à travers le pays. On compte déjà entre six à huit morts, de nombreux blessés et près d’une centaine d’arrestations. En réaction à ces mouvements de protestations, le gouvernement a interdit les manifestations publiques et mis en garde la population contre toute atteinte à l’ordre.

La question est de savoir si Alassane Ouattara est dans son droit.

Selon le RHDP, tout cela est légal, conformément à la nouvelle Constitution de 2016 qui remet les compteurs à zéro puisqu’elle annule la précédente datant de 2000 et institue l’avènement de la Troisième République. Légitimité donc, selon le principe de la non-rétroactivité des lois.

Ces détracteurs assurent qu’il n’en est rien. La nouvelle Constitution ayant reconduit les termes de l’ancienne Constitution qui consacre le principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels. L’article 55 est clair à ce sujet : « Le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il n’est rééligible qu’une fois. » Et cela n’a pas changé dans la nouvelle Constitution.

Il est du ressort du Conseil constitutionnel de trancher définitivement sur la question du troisième mandat, en même temps qu’il se penchera sur la recevabilité des autres candidatures en lice. Le problème est que peu de personnes croient encore en l’impartialité de cette institution de la République. Le président du Conseil constitutionnel, Mamadou Koné, a été nommé le 12 mars 2015 par Alassane Ouattara lui-même. Il en va de même pour les six autres conseillers actifs qui y siègent. Leur impartialité est sérieusement en doute.

Dans de telles conditions, beaucoup d’observateurs estiment que les jeux sont faits. Or, par une cruelle ironie du sort, pendant la crise postélectorale de 2010-2011, les deux candidats, Laurent Gbagbo, président sortant et reconnu par le Conseil constitutionnel, et Alassane Ouattara, reconnu par la Commission électorale indépendante et la communauté internationale, revendiquèrent chacun la victoire. Le bras de fer entraîna une guerre civile qui a coûté la vie à 3 000 personnes. Ce fut le début de la présidence d’Alassane Ouattara. Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel est de nouveau sous le feu des projecteurs. Sauf que l’histoire s’est inversée.

C’est le moment de s’interroger sur les changements de Constitutions dans la région ouest-africaine d’une manière générale. Dans le cas de la Côte d’Ivoire, le pays est tombé de Charybde en Scylla. Certes, la Constitution de 2000 a donné lieu à des modifications importantes. Là où l’ancien texte imposait qu’un candidat soit « exclusivement de nationalité ivoirienne, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine », la nouvelle Constitution remplace cette condition par « nés de père ou de mère ». Un seul des parents d’un candidat présidentiel a maintenant besoin de posséder la nationalité ivoirienne de naissance. Par ailleurs, le fait d’avoir détenu une autre nationalité ne l’empêche plus d’être candidat. Il doit cependant y renoncer avant de soumettre son nom. Autres changements de taille, un poste de vice-président a été créé, ainsi qu’un Sénat. Cependant, le fait que la limite d’âge pour se présenter, auparavant fixée à 75 ans, ait été supprimée – et que l’âge minimal ait été abaissé à 35 ans – représente un recul indéniable. En effet, cette modification permet aujourd’hui à Henri Konan Bédié, le candidat du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), âgé de 86 ans, de se présenter à la magistrature suprême !

Dans un pays, dont près de la moitié de la population est analphabète et où une infime minorité se donne la peine de lire les textes de loi pour en comprendre les enjeux, la responsabilité de la société civile est grande. Malheureusement, ce qui manque cruellement à la Côte d’Ivoire, c’est une société civile neutre. Celle-ci n’existe pratiquement pas, car trop souvent, elle est infiltrée par des partis liés aux mouvements de l’opposition du moment. Pour cette raison, beaucoup de personnes hésitent à répondre à ses mots d’ordre de crainte d’être prises en otage par un camp. Pendant ce temps-là, la bourgeoisie ivoirienne est paralysée par son désir de préserver la stabilité à tout prix. Pourtant, elle est bien placée pour faire pression sur l’élite politique avec laquelle elle entretient des liens de parenté et d’alliance. Mais elle n’a pas encore compris que son inaction ne peut que réactiver le terrible cycle de l’instabilité, justement.

Ne nous y trompons pas, la jeunesse va encore une fois faire les frais d’une rivalité entre hommes politiques qui ressemble plus à une vendetta qu’autre chose. Une jeunesse qui monte au créneau pendant que ses dirigeants tirent les ficelles en lui faisant miroiter des promesses qu’ils ne tiendront pas. Une jeunesse à laquelle on a coupé les ailes et qui ne sait pas dire « Non aux anciens ! ».

Le silence de l’Union africaine(UA), de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), de l’Organisation des Nations unies (ONU), de l’Union européenne (UE) et de la France, est assourdissant sur la question du troisième mandat d’Alassane Ouattara. Mais fermer les yeux sur cette dérive politique, c’est être complice. C’est tuer la démocratie. Non seulement en Côte d’Ivoire, mais dans le reste de l’Afrique également.

Envers et contre tout, la Cour constitutionnelle doit trouver le courage d’assumer l’énorme responsabilité historique qui est la sienne.

Il n’est pas trop tard.

Il existe des Ivoiriens compétents, engagés et prêts à construire la nation. Il faut leur donner la possibilité d’utiliser leur expertise. L’ancienne génération, celle qui est au pouvoir d’une manière ou d’une autre depuis le décès de Félix Houphouët-Boigny en 1993, est arrivée à son terme. Les Ivoiriens sont fatigués d’attendre des lendemains plus heureux et de vivre la peur au ventre à chaque nouvelle élection.

Face à la crise sanitaire qui pèse lourdement sur l’avenir et devant la menace djihadiste qui ronge la région ouest-africaine, toutes les énergies positives sont nécessaires pour traverser la tempête. Pour y parvenir, et pour l’exemple, il faut obtenir le retrait de la candidature d’Alassane Ouattara et, dans le même temps, trouver le moyen d’empêcher Henri Konan Bédié de se présenter du fait de son très grand âge. En bref, renouveler une classe politique autodestructive.

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