Au procès Charlie, la « course contre la montre » pour retrouver les frères Kouachi

Deux jours de traque, avec l’angoisse d’un nouveau carnage: au procès Charlie Hebdo, un enquêteur a relaté mardi la « course contre la montre » pour retrouver les frères Kouachi, décidés à « mourir en martyr » après l’attaque contre l’hebdomadaire.

« Les Kouachi savaient qu’ils allaient mourir », a assuré devant la cour d’assises spéciale de Paris cet ancien responsable de la Sous-direction antiterroriste (Sdat), en première ligne dans l’enquête sur les attentats de Charlie Hebdo, Montrouge et de l’Hyper Cacher.

« On était dans une course contre la montre », avec « deux fugitifs déterminés qui à tout moment peuvent rencontrer une patrouille de police et de gendarmerie et n’hésiteront pas à faire feu », a-t-il rappelé.

Après la tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, Chérif et Saïd Kouachi étaient parvenus à prendre la fuite en tirant à l’arme lourde sur des policiers puis en forçant un automobiliste à leur laisser son véhicule, après un accident de voiture.

Pour tenter de les localiser, un vaste dispositif avait été mis en place, avec barrages policiers, survols par hélicoptères et fouilles de maisons. La Sdat, de son côté, avait multiplié les auditions, engageant en quelques heures une « enquête hors norme ».

« Cette enquête a fait l’objet d’une médiatisation très importante », explique l’ex-enquêteur de la Sdat, qui insiste sur la « masse d’informations » recueillies le 7 janvier et les jours qui ont suivi. Cela « a influé sur la conduite des investigations », souligne-t-il.

Costume gris foncé, cravate bordeaux et cheveux coupés courts, le policier relate avec une précision de chirurgien et sans aucune note les premières étapes de l’enquête, des gardes à vue jusqu’aux perquisitions.

En quelques jours, plus de 2 000 scellés sont constitués, 4.000 PV rédigés et 400 témoignages recueillis. Sur la ligne verte mise en place pour recueillir des témoignages, 5 000 appels sont enregistrés, dont 1.700 durant la seule journée du 7 janvier.

Il a fallu « trier le bon grain de l’ivraie », raconte le policier, qui précise que « beaucoup de témoins ont vu les frères Kouachi un peu partout »: dans un train vers Bordeaux, dans un appartement squatté à Reims, dans les Pyrénées…

Après 24 heures de recherches infructueuses, l’enquête est finalement relancée le 8 janvier: à l’aube, les deux hommes ont braqué une station-service dans l’Aisne, à visage découvert, pour emporter de la nourriture et des boissons.

Dans les forêts des alentours, la traque se resserre. Le lendemain, une conductrice est à son tour braquée à une trentaine de kilomètres plus à l’ouest: les frères Kouachi l’ont obligée à leur remettre son véhicule, « visage découvert » là encore, rappelle le policier.

Le président de la cour d’assises spéciale, Régis de Jorna, s’étonne de leur attitude: « Visiblement, ils veulent attirer l’attention sur eux, comme s’ils voulaient qu’on les suive à la trace. Comment expliquez-vous ce comportement? »

« On s’est posé la question », reconnaît l’enquêteur. « S’ils cherchaient l’ultra-médiatisation, pourquoi ne sont-ils pas restés avec leur lance-roquette en plein Paris pour échanger des coups de feu et mourir en martyrs? »

Pour ce policier, seules des « hypothèses » peuvent être formulées, faute d' »éléments » probants. Parmi elles: la volonté de provoquer un affrontement avec les forces de l’ordre, en les attirant sur un terrain difficile d’accès.

Des éléments « laissent à penser qu’ils voulaient en découdre dans les bois » avec « la volonté de faire le plus de morts possible », explique le commissaire, qui rappelle que les Kouachi « avaient de quoi tenir », notamment « des couvertures de survie » et « des trousses de secours ».

Leur décès est finalement survenu le 9 janvier vers 17H00, dans une imprimerie de Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne) où ils avaient trouvé refuge. Sur place, les gendarmes ont découvert deux fusils d’assaut, deux pistolets semi-automatiques et le lance-roquette.

« Est-ce qu’il n’était pas possible de faire le maximum pour les arrêter vivants? », s’interroge Me Isabelle Coutant-Peyre, avocate de l’un des 11 accusés présents devant la cour d’assises, jugés pour leur soutien logistique aux auteurs des attentats.

Réponse négative du commissaire. « Ils s’étaient préparés le corps pour rejoindre Dieu », en se rasant « les aisselles et le pubis ». « Quand ils sont sortis armes à la main, ils savaient très bien quelle était l’issue finale de leur sortie », a-t-il conclu.

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