Comme prévu, l’alliance Im Kayl (Mon pas), majoritaire au Parlement, a resserré les rangs derrière le ministre de l’éducation Arayik Harioutiounian, dont les deux partis d’opposition Arménie prospère (BHK) et Arménie lumineuse demandaient le départ du gouvernement.
Jeudi 17 septembre, le vote des députés arméniens a été favorable au maintien de ce ministre controversé, dont des groupes d’opposition non parlementaires avaient aussi réclamé le renvoi, lors de manifestations, certes peu massives, pour cause notamment de covid, dans les rues d’Erevan. Ce qu’on reproche avant tout au ministre, ce sont les nouveaux programmes accusés de faire bon marché de l’histoire et de la littérature arméniennes dont son ministère a énoncé les grandes lignes cet été sur fond d’une pandémie qui focalisait toute l’attention sur les conditions de la rentrée, dans les milieux scolaires et universaitaires aussi, après cinq mois de fermeture des établissements. Les détracteurs du ministre estiment que les programmes annoncés vont à l’encontre des « valeurs arméniennes » traditionnelles. Le ministère de l’éducation, de la culture et des sports a balayé ces critiques, en invoquant la nécessité de moderniser des programmes tombés en désuétude. Soutenu par N.Pachinian, A.Harutiunian a défendu sa politique lors d’une conférence de presse mercredi, en soulignant queson ministère avait engagé un long débat sur ces programmes avec les enseignants et responsables de l’éducation à travers le pays et avait reçu plus de 2 000 propositions dans ce cadre. Il a aussi affirmé que certains caciques des différentes académies s’opposaient aux réformes car elles les privaient des subventions que leur avaient fournies les gouvernements précédents. Les deux partis d’opposition représentés au Parlement avaient relayé ces critiques et appelé à la démission d’A.Harutiunian. Ils avaient obtenu un débat mercredi au Parlement sur leur proposition d’adresser une pétition à Nikol Pachinian afin qu’il limoge le ministre, qui est aussi un allié politique de longue date.
L’Assemblée nationale a rejeté la motion en ce sens par 84 voix contre 35. Les député d’Im Kayl, qui disposent de 88 sièges au Parlement, ont exprimé un soutien sans faille au ministre controversé durant le débat. Leurs collègues du parti d’opposition Arménie lumineuse (LHK) ont accusé A. Harutiunian de mal gérer le système éducatif du pays. L’un d’eux, Gevorg Gorgisian, a affirmé que les autorités actuelles engageaient ou renvoyaient les enseignants selon leurs convictions politiques.
A.Harutiunian, qui est une figure de proue d’Im Kayl, a récusé catégoriquement de telles allégations. “Au cours des 30 dernières années, jamais nos enseignants n’ont été aussi libres”, a déclaré le ministre de 41 ans, qui est lui-même issu de l’université où il a été maître de conférences. A.Harutiunian s’est ensuite emporté contre les députés du BHK, qui l’accusaient d’encourager la “perversion” pour avoir reçu dans son bureau en 2018 un militant transgenre. Il a riposté en renvoyant le leader du BHK Gagik Tsarukian à son passé sulfureux.
En 1979, un tribunal d’Arménie soviétique avait accusé Tsarukian d’implication dans un « viol en réunion » de deux femmes dans les faubourgs d’Erevan et l’avait condamné à 7 ans d’emprisonnement. La Cour de cassation de l’Armenie nouvellement indépendante avait cassé ce verdict dans le milieu des années 1990, alors que Tsarukian gagnait en popularité comme champion de bras de fer. Le groupe parlementaire du BHK a condamné l’attitude d’A. Harutiunian et a boycotté la séance de questions et réponses qui avait suivi à l’Assemblée nationale en signe de protestation.
N.Pachinian cautionnait les attaques à peine voilées d’A. Harutunian visant Tsarukian le lendemain. “Il est difficile de ne pas être d’accord avec le ministre”, écrivait le premier ministre sur sa page Facebook. Tsarukian a riposté en appelant à un amendement constitutionnel qui empêcherait “les individus affligés de graves troubles mentaux” d’occuper des postes élevés au sein du gouvernement. Tsarukian, qui est aussi l’un des hommes les plus riches d’Arménie, a vu son immunité parlementaire levée en juin en vue de permettre des poursuites judiciaires le visant pour achat de votes lors des législatives de 2017. Il a démenti avec véhémence de telles accusations, en déclarant que Pachinian avait ordonné ces poursuites en réponse aux appels qu’il avait lancés à sa démission, pour mauvaise gouvernance et mauvaise gestion de la crise du coronavirus.
A ce propos, l’alliance Im Kayl acceptait à contre cœur mercredi la demande de l’opposition en vue d’une enquête parlementaire sur la gestion de la crise sanitaire et économique due à la pandémie de coronavirus par le gouvernement de Pachinian. Ce dernier répètera le lendemain qu’il avait fait ce qu’il fallait faire face à cette pandémie qui semble enfin marquer le pas en Arménie. Une commission ad hoc du Parlement va enquêter durant six mois pour se prononcer sur la politique de lutte du gouvernement face à la pandémie. L’objectivité de ses conclusions semble pourtant sujette à caution, car si cette commission sera présidée par un député de l’opposition, le leader du groupe LHK Arkady Khatchatrian, la plupart de ses membres sont nommés par Im Kayl. Sur les 12 membres de la commission, sept au moins seront ainsi issus des rangs de la majorité pro-Pachinian. Mais la leader du groupe Im Kayl Lilith Makunts, s’est voulue magnanime, en rappelant que si elle ne comprenait pas les raisons d’une telle enquête, elle acceptait de l’engager, même si les statuts du Parlement donnent le droit au parti ou alliance majoritaire, de bloquer une telle initiative émanant de groupes minoritaires.