La caricature, une longue tradition française

Samuel Paty, professeur d’histoire dans un collège de Conflans-Sainte-Honorine, a été décapité pour avoir illustré ses propos sur la liberté d’expression, en montrant deux caricatures du prophète Mahomet.

Les Poires est un dessin paru en novembre 1831 de La Caricature. Il s’inscrit dans l’histoire de la caricature en France comme un symbole de la lutte des Républicains contre le régime de la Monarchie de Juillet de Louis-Philippe. © Wikimedia, La Caricature, 1831.

Ces dessins sont une nouvelle fois au cœur d’une polémique, alors que la caricature française est issue d’une longue tradition.

Le 16 octobre, Samuel Paty, professeur d’histoire dans un collège des Yvelines, a été victime d’un attentat islamiste pour avoir montré à ses élèves des caricatures de Mahomet, dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression. Depuis la reprise en 2006, par Charlie Hebdo, de caricatures du prophète issues du journal danois Jyllands-Posten, ces dessins n’ont cessé d’engendrer polémiques et drames. Un incendie criminel en 2011, puis un attentat en 2015 ont visé la rédaction du journal satirique.

Ce moyen d’expression n’est pourtant pas nouveau. La France a une longue tradition du dessin contestataire.

Au Moyen-Âge

Au Moyen Âge, la caricature, dont les origines remontent à la Grèce antique, ne cesse de se propager. « Les premières gravures, qui apparaissent à la fin du 14e siècle, sont faites sur bois », décrit le site de la BNF. On en retrouve « dans les sculptures extérieures et intérieures des églises ou dans les miniatures : personnages grotesques, animaux fantastiques et symboliques ». Mais c’est l’essor de l’imprimerie à partir du 15e siècle qui va permettre de populariser les caricatures. Les dessins sont notamment utilisés par les partisans de la Réforme protestante pour se moquer du pape. En France, le roi Henri III est également victime d’une campagne de caricatures précédant son assassinat.

« L’explosion de la caricature politique correspond toujours à des périodes de crises ; en outre, elle est fortement liée au statut matériel du document et aux moyens de sa diffusion (image insérée dans un pamphlet, vendue en feuille volante ou en série, affiche, illustration d’un « occasionnel », dessin de presse paraissant dans un périodique illustré) », résume le site de la BNF.

Lors de la Révolution française

Mais selon l’historienne Annie Duprat, c’est surtout la période de la révolution qui voit « une explosion des caricatures ». « Quand le pape Pie VI condamne la Constitution civile du clergé votée par l’Assemblée nationale constituante au printemps 1791, la réaction de Jacques Bonhomme – figure emblématique du Français ‘bien de chez nous’ – ne se fait pas attendre : il s’essuie le derrière en riant avec le bref du pape, c’est-à-dire un acte administratif rédigé par le pape intimant un ordre à destination des fidèles », prend-elle pour exemple dans un article pour The Conversation. Pour cette historienne, la caricature devient alors un vrai « langage politique en voie d’autonomisation ».  D’après la BNF, 1500 gravures satiriques ont ainsi été réalisées entre 1789 et 1792.

La monarchie de Juillet

Le roi est la principale cible des caricaturistes. Au 19e siècle, avec la croissance de la presse, les périodiques illustrés vont fortement se développer. Sous la monarchie de Juillet, c’est Louis-Philippe qui en fait les frais et s’en irrite. Le caricaturiste Daumier passe six mois en prison pour avoir figuré Louis-Philippe en Gargantua, puis reprend le motif de la poire représentant le visage du roi, créé par Philipon. Ce dernier sera lui-même condamné à six mois de prison pour « outrages à la personne du roi ». En 1835, une loi rétablit la censure (qui avait été abolie en 1824 par Charles X) pour les dessins, gravures et lithographies.

L’affaire Dreyfus

Il faut attendre de nouvelles lois sur la liberté de la presse, dont celle de 1881, pour voir une nouvelle éclosion de caricatures. À la fin du 19e siècle, l’affaire Dreyfus offre aux dessinateurs une polémique de premier choix pour laisser libre cours à leur imagination. Le célèbre dessin de Caran d’Ache, « Ils en ont parlé », représentant un débat houleux au sein d’une famille au sujet de l’affaire, publié dans Le Figaro, est même entrée depuis dans l’Histoire.

Lors de la Première Guerre mondiale

Au début de la Grande Guerre, « une grande partie de la presse satirique française ne survit pas aux premiers jours du conflit » en raison « d’interruption de publication due à l’état de siège, du départ au combat de nombreux dessinateurs ou encore de pénuries de toutes sortes », comme le note l’historien Laurent Bihl, sur le site de la mission du centenaire. Mais les « feuilles survivantes se trouvent en position de force » et participent « au bourrage de crânes » en alimentant la propagande contre l’ennemi. Cette période voit aussi éclore de nouvelles publications dont le Canard Enchaîné créé en 1915.

Mai 68 et Charlie Hebdo

Lors de la Seconde Guerre mondiale, la censure abolit pour beaucoup les caricatures, même si dans les journaux collaborationnistes, elles restent présentes notamment pour servir la propagande antisémite. Il faudra attendre les années 1950 pour que les dessins redeviennent politiques. Les caricatures sur le général de Gaulle abondent tout particulièrement. Les dessinateurs s’en donnent à cœur joie pour dénoncer le caractère autoritaire du régime et le comparer à d’autres personnages historiques, tels Louis XIV et Napoléon. Les caricaturistes présentent à plusieurs reprises le général comme un souverain absolu et tournent son image en ridicule.

C’est au cours de cette période, en 1960, que naît Hara-Kiri, le journal bête et méchant, d’abord sous la forme d’un mensuel, puis d’un hebdomadaire en 1969. Cavanna et Georges Bernier dit « Professeur Choron », ses créateurs, jouent sur le registre de la provocation vis-à-vis du public bien-pensant et de ses valeurs. Un an plus tard, il est interdit après une couverture mordante sur la mort de Charles de Gaulle « Bal tragique à Colombey – 1 mort ». Il renaît en 1972 sous le titre de Charlie Hebdo. Mais comme l’explique le site de la BNF, on assiste cependant à une mutation : « Le dessin de presse va progressivement remplacer la caricature et la formation, le statut et les pratiques des dessinateurs de presse évoluent. Ils se revendiquent dessinateurs-journalistes ».

Contre vents et marées, Charlie Hebdo continue d’exister malgré une disparition temporaire, faute de lecteurs, dans les années 1980. Il est la cible de nombreuses plaintes, essentiellement issues de l’extrême droite et d’associations catholiques. Mais c’est son traitement de l’islam qui lui attire des menaces. Elles aboutiront à l’attentat du 7 janvier 2015, revendiqué par Al-Qaïda dans la péninsule Arabique, qui a fait 12 morts.

Lien