Ménageant, d’un côté, sa relation avec Paris et, de l’autre, les partis islamistes qui lui intiment de réagir, Alger semble privilégier une réponse graduelle à la polémique qui s’enflamme autour de la publication des caricatures du prophète Mahomet et des déclarations du président français Emmanuel Macron suite à l’assassinat de Samuel Paty.
Samedi 24 avril, c’est Abderrazak Makri, président du Mouvement pour la société de la paix (MSP, tendance Frères musulmans), qui a ouvert le bal des hostilités. « Le président français continue d’offenser les musulmans et d’agresser le prophète Mohammed. C’est une agression claire contre chaque musulman sur cette terre. C’est un comportement qui exprime une profonde haine envers l’islam et les musulmans », a écrit le leader islamiste dans un communiqué, ajoutant : « Chaque musulman connaissant sa religion condamne le terrorisme quelles que soit sa forme ou ses raisons. L’assassinat de l’enseignant français est condamnable et répréhensible en dépit de l’acte criminel qu’il a commis en portant atteinte au prophète de l’islam. » Makri en appelle ensuite aux autorités algériennes, « à leur tête la présidence de la République », pour dénoncer les déclarations du président français et prendre « une position diplomatique, politique et économique convenable ».
Ce même 24 octobre, un autre parti islamiste, El Bina, a demandé aux pouvoirs publics d’« intervenir en vue de protéger la communauté musulmane en France de la montée de la haine et des pratiques racistes suite aux déclarations non responsables du président français ». « Les derniers événements ayant eu lieu en France ne seront pas sans conséquences dangereuses sur les relations de Paris avec les autres pays », a prévenu Abdelkader Bengrina, président de ce parti.
Ces appels ont eu un écho au sein du Parlement. La députée islamiste Khomri Samia a interpellé, lundi 26 octobre, le ministre des Affaires étrangères Sabri Boukadoum sur « l’absence d’une réponse officielle aux dépassements de la France sous prétexte de la liberté d’expression ». « Quelles seront les démarches adoptées par l’État algérien en réponse à ces graves attaques contre notre religion, notre prophète et nos valeurs ? » a interrogé la députée.
D’abord celle du Haut Conseil islamique (HCI), qui dépend de la présidence de la République, dénonçant, lundi, une « campagne enragée » conte le prophète de l’islam. Sans nommer directement le président français, l’instance officielle estime qu’il s’agit d’une « une atteinte à toute l’humanité », surtout « quand elle émane d’un responsable qui se considère comme le garant des valeurs de fraternité, de liberté et d’égalité ».
En conclusion, le HCI, tout en évitant de commenter les appels à boycotter les produits français, préfère appeler « les sages de ce monde, les organisations religieuses et des droits de l’homme et les instances de dialogue entre les civilisations à faire face à ce discours extrémiste inhumain » et à « œuvrer pour le triomphe de la voie de la raison qui implique le respect des symboles religieux communs et la lutte contre la haine et le racisme ».
La seconde réaction officielle, tout aussi prudente, émane du ministère des Affaires religieuses, le même lundi 26 octobre. « Le statut [du prophète] ne peut être ébranlé par ceux qui portent atteinte à sa noble personne […]. Il s’agit de discours de la haine qui répand rancune et racisme entre humains. Nous détestons les atteintes blessantes et nous abhorrons l’insulte quels que soient son auteur ou ses motifs », lit-on dans le communiqué du ministère dont l’objet principal était de déconseiller, pour raison de pandémie de Covid-19, les rassemblements pour célébrer le mawlid al-nabawi, l’anniversaire de la naissance du prophète Mohammed, le 28 octobre.
En marge des prudences officielles, les réseaux sociaux offrent plus de réactions débridées, entre ceux qui militent ouvertement pour le boycott des produits made in France et ceux qui ironisent sur cette campagne dans un pays où chaque polémique incluant l’ancien colonisateur est propice à s’enflammer. « Retour de la colonisation : Les appels au boycott sont sans aucun objet et doivent cesser immédiatement », commente un internaute en rapportant les déclarations du porte-parole du Quai d’Orsay. « Dans deux jours, cette campagne burlesque s’estompera et les faux mécontents feront à nouveau la queue devant les consulats français pour les visas et consommeront fromage français et yaourt frais. À bas la France, vive la France ! », s’insurge l’administrateur d’une page de débat.