L’arme fatale des Russes contre les drones turcs de l’Azerbaïdjan

On connaissait le « novitchok », ce puissant agent neurotoxique issu des laboratoires les plus secrets de l’armée russe, dont des échantillons auraient contaminé un ex-agent double et sa fille en Grande-Bretagne en 2018 et plus récemment, l’opposant Alexei Navalny, au risque de ternir un peu plus encore l’image de la Russie.

Tout aussi efficace, dans un tout autre registre, la « Belladone » est un autre produit de l’appareil militaro-industriel de la Russie, qui a nettement rehaussé le crédit de la Russie, en tout cas chez son allié arménien, qui voudrait bien qu’elle en fasse davantage usage contre les forces azéries, à défaut de le posséder. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, la Belladone » n’est pas un agent chimique, mais un système empoisonneur et tueur de drones, qui a prouvé son efficacité sur le terrain, tant en Syrie que dans le Haut Karabagh, en neutralisant ces véhicules volants sans pilotes dont l’armée azérie s’est largement dotée, auprès de ses fournisseurs israéliens et turcs, et qui ont un effet dévastateur dans les lignes de défense arméniennes.

Ce système antidrone russe doit son nom à cette plante toxique dont les dames de la Renaissance utilisaient, modérément, la substance pour des potions dilatant la pupille de leurs yeux pour ajouter de la séduction à leur regard. C’est cette stratégie de séduction qu’utilise le système électronique russe, qui attire les drones armés, singulièrement ceux de type Bayraktar, fabriqués par la Turquie qui en a livré une bonne quantité à son allié azéri, pour mieux les neutraliser, en anéantissant leur appareillage de guidage. Etourdis par la « Belladone » (mot italien qui se traduit belle femme ) qui leur a ôté tous leurs moyens en brouillant leur système de guidage, les drones succombent à son charme et n’ont plus qu’à s’écraser au sol, sans qu’aucun missile n’ait été tiré. Les forces arméniennes, qui ne disposent pas d’un tel système, s’en remettent aux missiles et autres armes anti-aériennes pour contrer les nombreuses attaques de drones armés et suicides, turcs ou israéliens, utilisés contre leurs positions au Karabagh mais aussi contre les civils. La riposte manque parfois de précision contre ces appareils volant à haute altitude et est souvent trop tardive. Pauvre elle-même en drones, l’armée arménienne gagnerait à se doter du système russe. Elle a pu compter néanmoins sur son appui lorsque des drones azéris visaient précisément le territoire de la République d’Arménie, autorisant dès lors une riposte des forces russes qui y sont basées en vertu des accords de défense arméno-russes ainsi que des statuts de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), alliance militaire dirigée par la Russie dont l’Arménie est membre. Et la riposte a été efficace, puisque la Belladone aurait déjà accroché 9 drones azéris de fabrication turque à son tableau de chasse.

L’information n’a pas été démentie, et il semblerait que ce système russe qui a fait ses preuves en Syrie contre les djihadistes et autres rebelles, armés par la Turquie d’ailleurs, soit opérationnel dans la base militaire russe de Gyumri en Arménie, où quelque 4 000 soldats sont chargés d’aider l’Arménie en cas d’attaque étrangère. La base de Gyumri, la plus importante de la Russie au Sud Caucase, est éloignée du théâtre des opérations militaires, dans et autour du Karabagh, mais elle est proche de la frontière arméno-turque, elle aussi gardée par l’armée russe. A l’époque tsariste déjà, Gyumri, alors Alexandropol, était un poste militaire avancé de la Russie face à l’Empire ottoman. Le nom en russe du système Belladonna est “Krasukha”, mais quel qu’en soit le nom, il a séduit les Arméniens qui saluent son efficacité tant face aux drones armés turcs de type Bayraktar que face aux drones suicide armés israéliens de type Harop. Les Turcs n’avaient pas manqué de se féliciter de l’efficacité des drones Bayraktar, qu’ils ont massivement utilisés en Syrie, en Libye et maintenant dans la zone du conflit du Karabagh. La Turquie et l’Azerbaïjan ont multiplié les videos de propagande qui sont autant de clips publicitaires vantant les exploits de leurs drones faisant exploser des tanks, des véhicules blindés et tuant ou blessant grièvement leurs équipages. La Turquie est pourtant loin de maîtriser toute la chaîne de fabrication et la technologie du Bayraktar, qui n’est autre qu’un avion sans pilote mais muni d’armes – plus ou moins – conventionnelles et d’un système de guidage GPS. Le système électronique de caméra mutispectrale embarquée « Wescam MX-15D », d’une redoutable précision sur les cibles visées, est produit par un gros groupe canadien, tandis que le moteur très puissant qui propulse le drone, de type BRP-Rotax, est produit en Autriche. Le Canada a décidé d’arrêter la vente à la Turquie de son système équipant les drones Bayraktar en raison de leur utilisation dans le conflit du Karabagh, mais n’a pas pris de mesure concernant les exportations de moteurs Rotax, alors que la compagnie autrichienne qui les produit est uune filiale du groupe aéronautique canadien Bombardier. L’Autriche s’en est chargée et vient d’en interdire l’exportation à la Turquie pour la même raison.

En revanche, Washington n’a pris aucune mesure concernant la maison mère du groupe canadien produisant les systèmes de visée, dont le siège est aux Etats-Unis. Ces mesures de rétorsion visent à réduire la capacité de production en Turquie de ces drones, dont les forces arméniennes ont pu abattre une certaine quantité déjà. Le système antidrone russe Krasukha ou Belladone limiterait encore la capacité de nuisance qu’ont acquise les forces azéro-turques. Encore faudrait-il qu’il soit plus souvent utilisé. Dans une contre publicité aux videos turco-azéries vantant les mérites des drones, les media russes ne se sont pas privés de montrer les images de drones turcs neutralisés par le système de brouillage russe. Mais les forces arméniennes n’en ont pour l’heure pas la maîtrise.